La résidence vue par Marianne Fricheau

 

L’individualité et le groupe

La résidence d’écriture documentaire a réuni six individualités qui relèvent de formation universitaire et de parcours professionnels variés. Qui surtout viennent des quatre (plutôt des 6) coins d’un horizon mental sans mot de passe et sont donc arrivés avec des projets de films documentaires très singuliers. Mais complot lussassois du hasard ou cause cachée, assez vite et de plus en plus solidement à mesures des étapes du travail, un vrai groupe s’est constitué ne laissant personne à la traîne, chacun existant avec les autres et porté par les autres avec ce ménagement nécessaire, adroit et attentif de chacun envers chacun, pour ce qui ne découle que de son expérience propre et de son alchimie propre.

 

Le quotidien de l'écriture

Des exercices quotidiens d’écriture et dans le même temps, une expérience collective ou bien individuelle de projections, puis de description de séquences ou de films documentaires (ce que je vois, ce que j’entends, ce que j’interprète). L’analyse de la matière du récit filmique et de son économie, l’appréhension de sa documentation, enfin l’apprentissage en commun de la prise en main des outils de l’image, du son, du montage, la pratique du matériel technique, ont amené les apprentis-chercheurs, dans la voie et dans le style qui leur sont absolument propres, à trouver réponse à cette question : à quoi peut-on croire ? Qu’est-ce qui est vrai ? Autrement dit : comment faire que par la mise en scène de la réalité que j’ai à filmer au moment où je la filme, tout semble se dérouler de la manière la plus plausible du monde en même temps que cette vie filmée de tous les jours sache composer, afin que tout se réponde et prenne valeur de signes ? Ou encore : ne plus discerner l’imaginaire discret du vécu. C’est évidemment sinon le problème du moins la question du documentaire.

 

Au milieu donc, le relais du croquis filmé

En conséquence, la proposition de la réalisation d’un croquis filmé en relation avec le projet initial (petit film tourné, monté) est cette étape où chacun prend conscience de cette question : À quoi peut-on croire, qu’est-ce qui est vrai ? Où chacun peut donc réfléchir purement sa situation, dans le projet qui l’occupe et ainsi en réordonner les données anciennes. Une projection en commun de ces petits films personnels, au centre du temps de l’atelier d’écriture permet d’oublier, de recommencer, de penser, de parler ensemble aussi : sans confidence et sans circonspection de se dire et de se redire ce qui ne va pas encore.

 

Revenir au travail de l’écriture proprement dit : comment passer de la permanence illusoire d’un sujet à son abandon provisoire pour écrire ?

Lente transmutation du sujet : rejeter, modifier, modeler, revenir… Il y a sûrement un mauvais dieu qui contraint chacun d’entre nous à ne pas oublier ce faux dieu, celui qui nous fait éprouver l’idée d’un sujet initial et préalable à traiter. En même temps « ce besoin » d’une illusion de permanence » crée à son tour un besoin réel de structure et de forme… et dès lors, après l’exercice du croquis filmé, les sujets que nous convoquons ne sont plus des opinions, des sentiments, des prétextes, etc. mais des images promptes à vivre. Et dès lors (à nouveau) elles affluent : pourtant elles ne sont pas encore vraies. Les vraies viennent après : les vraies, ce sont celles qui arrivent au moment où l’on peut se dire à la fois « si peu de choses ont changé que tout redeviendra comme avant » mais aussi « comme le temps a passé, elles ne redeviendront jamais comme avant, après qu’elles ont changé ». Et ces «  images-là » que nous avons cherchées, tout à coup se fondent si intimement dans l’essence du récit à mener, qu’elles nous indiquent : c’est maintenant le moment d’écrire.

 

Marianne Fricheau, printemps 2010