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Les États généraux du film documentaire 2010 Histoire de doc : Danemark

Histoire de doc : Danemark


Aux débuts de l’histoire du cinéma, le Danemark occupait une place centrale en termes de production et de distribution mondiale, notamment grâce au travail développé par la société Nordisk, fondée par Ole Olsen. La reconnaissance du cinéma danois s’est également affirmée grâce à certains réalisateurs tels Viggo Larsen, Benjamin Christensen, Carl Th. Dreyer ou encore grâce à certains acteurs qui ont mondialement marqué le cinéma de l’époque comme Valdemar Psilander et Asta Nielsen. Cette position dominante du cinéma danois a pris fin avec l’avènement du cinéma sonore et la première guerre mondiale qui a coupé les réseaux de distribution. Sans pour autant renoncer à la qualité de ses films, le Danemark a alors repris sa place de « petit pays ».
Au regard du documentaire dans les premières décennies de l’histoire du cinéma, le Danemark s’est réveillé un peu tardivement par rapport à d’autres pays. Bien sûr, le cinéma d’actualités et les films de voyage – les « travelogues » - existaient comme partout ailleurs, et ce sont surtout les films d’expédition de Knud Rasmussen qui suscitaient l’intérêt du grand public. Mais c’est avec douze ans de retard sur Flaherty que le Danemark a présenté son propre Nanook : Palos brudefærd de Friedrich Dalsheim (1934). Ce film relate la dernière expédition de Knud Rasmussen et se distingue de tous les autres films d’expédition par sa construction narrative, sa durée et son intérêt ethnographique. Du point de vue filmique, il se situe entre In the Land of the War Canoes de Edward Curtis (1914) par son approche fictionnelle et Nanouk l'Esquimau de Robert Flaherty (1922) par son esthétique et sa valeur documentaire, en ce qu’il nous dévoile de la vie réelle de ses protagonistes.
Un an plus tard, en 1935, Poul Henningsen réalise Danmark, un film qui s’inscrit dans la tradition du courant intitulé « Films de la Nation ». Ces films de voyage à l’intérieur du pays sont surtout destinés à la promotion du Danemark à l’étranger. Néanmoins, Danmark se démarque des autres films de ce courant par sa poésie, son style impressionniste et sa légèreté de ton ; ce qui n’a pas été sans poser problème auprès de son commanditaire – le ministère des Affaires étrangères. On retrouve par la suite cette approche poétique, cet humour et cette ironie dans de nombreux documentaires danois. C’est au cours de cette période que le documentaire prend son envol au Danemark.
La seconde guerre mondiale donne un coup de pouce supplémentaire à la production documentaire danoise. En effet, sous l’occupation allemande, l’importation de films issus de pays ennemis était interdite et les films documentaires danois, s’ils ne traitaient pas de sujets « convenables », proposaient au public une alternative bienvenue aux films de propagande. Le réalisateur Theodor Christensen a joué un rôle moteur au cours de cette période. Très inspiré et influencé par John Grierson qu’il rencontre en 1939 et par le « Mouvement documentaire britannique », il adopte et promeut, avec son ami Karl Roos, les mêmes missions d'information publique et d'éducation populaire du documentaire ainsi que la même approche créative et esthétique que ses confrères britanniques. Les sujets traités dans de nombreux films documentaires des années quarante - films de Theodor Christensen et bien d'autres - concernent le travail, l'industrie (notamment le très beau 7 Mill. HK de 1943), l'exploitation agricole et forestière des terres, la nature et le traitement des déchets dont Spild er penge (1942) est un exemple emblématique. Si ces films ne se démarquent pas du point de vue formel, leur originalité se situe surtout dans la légèreté de ton et l'ironie avec lesquelles ils abordent leurs sujets. Leur esthétique suit principalement les tendances développées par le « Mouvement documentaire britannique » : une belle photographie et un montage efficace, liés à une approche poétique. Le ton particulièrement léger de Poul Henningsen laisse penser que celui-ci a également eu une influence importante sur ses successeurs dans l'élaboration d'un « mouvement » danois du documentaire. En témoigne l’humour avec lequel Kornet er i fare de Hagen Hasselbalch (1945) aborde la lutte anti-parasitaire pour sauver la récolte du grain. On y retrouve une légèreté familière au public (comme dans Tudsen, 1944) qui a visiblement leurré les occupants allemands : une lecture métaphorique laisse facilement deviner qui sont les parasites…
La production documentaire d’après-guerre reste importante et principalement dominée par les films d'information. Le grand Carl Th. Dreyer, ayant du mal à faire financer ses projets de long métrage, se consacre alors au documentaire et dévoile ses qualités sous une autre lumière, adoptant souvent un lyrisme sobre. Qu'il s'agisse du portrait d'un grand sculpteur danois (Thorvaldsen, 1949) ou du portrait impressionniste d'un pont (Storstrømsbroen, 1950), on reconnaît aisément l'œil du maître. Le plus connu de ses courts métrages reste sans doute le film qu'il a réalisé pour promouvoir la sécurité routière, De nåede færgen (1948), dans lequel on retrouve des éléments de ses fictions, le tout renforcé par la virtuosité de l'homme derrière la caméra : Jørgen Roos.
Jørgen Roos s’est imposé comme la figure emblématique du documentaire danois. Ses films ont surtout marqué le cinéma des années cinquante et soixante. Frère cadet de Karl Roos, il commence sa carrière en tant que cameraman pour les films de Theodor Christensen. Très rapidement, il réalise ses premiers films expérimentaux avec, entre autres, le peintre Albert Mertz (Flugten, 1947), et alterne ensuite la réalisation de films d'avant-garde et de films de commande. Il dresse des portraits de grandes personnalités de la culture danoise comme Hans Christian Andersen, Knud Rasmussen (Knud, 1965), Carl Th. Dreyer (Carl Th. Dreyer, 1966) et de son maître Theodor Christensen. Il poursuit ses expérimentations (Støj, 1965) et consacre plusieurs films au Groenland (Sisimiut, 1966 ; Ultima Thule, 1968). L'humour fait partie intégrante de sa signature, comme le révèle son film sur la production porcine (Den strømliniede gris, 1952). Réalisateur, mais également monteur et cameraman pour la plupart de ses films, Jørgen Roos a toujours travaillé dans une autonomie relativement importante. Ses films se caractérisent par une approche non conventionnelle, une photographie soignée, un montage bien rythmé et un regard humaniste empreint d’humour et d’ironie. Il s’inscrit ainsi dans la continuité du mouvement mis en marche par Theodor Christensen, et à son tour, contribue beaucoup à l'évolution du documentaire danois. Au cours des décennies suivantes, le documentaire danois se diversifie sous l'influence de la télévision et du « cinéma direct ». La production s’intensifie mais on retrouve certaines tendances - notamment les portraits filmés (PH Lys, 1964 ; Et år med Henry, 1969 ; Jenny, 1978) - et certaines caractéristiques persistent comme l'humour et l'ironie (Livet i Danmark, 1971). Cependant, les regards sur la société deviennent plus critiques et les réalisateurs s'intéressent davantage à la vie quotidienne des gens (De gamle, 1961) et à l'évolution de la société danoise (Havnen, 1967 ; Iden vi vågner, 1976 ; Danmark – dit og mit, 1982).
Quelques auteurs se démarquent alors par leurs approches singulières, notamment Jørgen Leth, à qui nous consacrons un « Fragment d'une œuvre ». C’est également le cas de Henning Carlsen, qui a débuté sa carrière en tant qu’assistant de Theodor Christensen et qui analyse, dans nombre de ses documentaires, les aléas de la société moderne dans la vie des gens modestes. Au cours de cette période, à partir du même dispositif cinématographique, d’autres cinéastes comme Jørgen Vestergaard tentent plutôt de décrire les grandes transformations de cette société.
Les œuvres de Christian Braad Thomsen et Jon Bang Carlsen s’inscrivent dans une démarche encore plus singulière que celle des deux cinéastes précédents. Ils s’imposent en incorporant sans crainte des éléments fictionnels dans leurs films. Herfra min verden går (1976) est un film autobiographique, mais Braad Thomsen dépasse le simple récit familial pour traiter d’un aspect spécifique de la société danoise : la disparition d’une partie de son héritage avec la langue régionale du Jutland.
Quant à Jon Bang Carlsen, il combine un langage visuel fort avec la mise en scène de ses protagonistes et en fait sa marque de fabrique. Il explique cette méthode dans son « métafilm » At opfinde virkeligheden (1996). De Lutrede (2002) de Jesper Jargil, un autre « métafilm » présenté dans ce programme, se tourne vers la fiction pour démontrer comment les cinéastes du Dogme (Lars von Trier, Thomas Vinterberg et d’autres) se prennent au piège de leur propre jeu.
Si la production documentaire danoise est aujourd’hui très importante, comme dans de nombreux pays elle s’est énormément uniformisée sous l’influence de la télévision et de l’internationalisation de la production documentaire. Aujourd’hui encore, ce sont essentiellement les auteurs précités qui marquent l'esprit des spectateurs et définissent la richesse et la qualité du documentaire danois.

Kees Bakker

Cette programmation n'aurait pu être réalisée sans l'aide précieuse des cinémathèques. Nous remercions chaleureusement Thomas Christensen, Anne Marie Kürstein et Esther Wellejus du Danish Film Institute.

Présentation et débats par Kees Bakker, en présence de Esther Wellejus (Danish Film Institute).


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