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Les États généraux du film documentaire 2011 Histoire de doc : Tchécoslovaquie

Histoire de doc : Tchécoslovaquie


En 2008, le programme « Route du doc » a présenté des productions documentaires récentes de République tchèque et de Slovaquie. Malgré des styles et des approches différents, l'ensemble de ces films reposait sur une certaine tradition documentaire. À partir de films réalisés entre 1918 et 1992, « Histoire de doc » propose cette année d’analyser comment cette tradition cinématographique s’est forgée.

Comme dans d’autres pays européens, le cinéma documentaire tchèque est marqué à ses débuts par la double influence des films d’avant-garde et des actualités. Dans les années vingt, la diffusion des actualités au cinéma occupe une place importante et, notamment à Prague, les cercles artistiques et culturels sont des catalyseurs de créativité touchant également le domaine du cinéma. À la fin des années vingt et durant les années trente — période d’instabilité politique et économique mais d’une certaine stabilité sociale et culturelle —, si la quantité des films produits n’est pas très importante, leur qualité est indéniable. On retrouve dans Prague Illuminated by Millions of Lights de Svatopluk Innemann (1928) et dans Nous vivons à Prague d’Otakar Vávra (1934), les city symphonies auxquelles se sont confrontés bien d’autres cinéastes de l’époque. Aimless Walk d’Alexander Hackenschmied (1930) semble directement inspiré par les accents impressionnistes du Joris Ivens de La Pluie. Light Penetrates the Dark d’Otakar Vávra et František Pilát (1930) et The Magic Eye de Jiří Lehovec (1939) s’inscrivent dans la lignée des films expérimentaux de Man Ray ou Walter Ruttmann. Au cours de cette période, on peut néanmoins observer une évolution vers des films plus poétiques, plus lyriques et noter l’émergence de films à caractère social. La terre chante de Karel Plicka (1933), film poétique et musical sur les paysages slovaques, s'inscrit dans cette tradition. À la même période, des cinéastes, tel Jiří Weiss en 1938, sont contraints à l’exil et portent un regard plus engagé sur leur pays.

En 1938, après les accords de Munich, la République tchècoslovaque voit les Sudètes annexés au Troisième Reich, puis subit une partition pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien que la production cinématographique ne s’arrête pas totalement, elle se réduit essentiellement aux actualités et reportages ainsi qu’aux portraits « sages » et aux films scientifiques. Otakar Vávra parvient malgré tout à réaliser un film de montage, témoignant de l’occupation nazie et de la résistance des Tchèques. Avec The Way to Barricades (1946), il livre un document exceptionnel sur la Tchéquie sous l’occupation, sur sa libération et le retour du président exilé, Edvard Bene. Si l’enthousiasme et le patriotisme peuvent nous paraître aujourd’hui un peu excessifs, la force du film tient à la qualité du montage et aux événements qu’il nous dévoile.

Avec le putsch communiste de février 1948, commence l’ère de la République socialiste tchécoslovaque. La production cinématographique se met alors au service de l’idéologie de l’État, ce qui ne freine ni la croissance de la production ni la réalisation de films de qualité. La guerre et la reconstruction sont des sujets récurrents du documentaire des années quarante et cinquante. Certains films témoignent avec force de la barbarie nazie. There Are Not Clouds All the Time de Karel Kachyňa et Vojtěch Jasný (1949) a les traits typiques d'un film sur la reconstruction, ici celle de la Moldavie rurale, dont l’approche très originale mêle des acteurs professionnels à des ouvriers agricoles. En dépit du ton propagandiste du film, la créativité des deux cinéastes s’affirme à travers le travail de montage et la maîtrise du langage cinématographique.

Miro Bernat s’appuie sur les dessins d’enfants juifs pour témoigner des horreurs vécues dans les camps de Terezin (Theresienstadt). Butterflies Don't Live Here (1958) est un film à la fois poétique et poignant. Lidice de Pavel Háša (1965), témoigne d’une barbarie sans limite. Ce film incontournable relate le triste destin du village tchèque de Lidice, totalement rasé en juin 1942 par les Allemands qui fusillèrent tous les hommes et une partie des femmes.
Au cours de cette même période, d’autres films témoignent de la qualité et de la créativité de certains réalisateurs. Reprenant le principe de la traversée de la ville propre à certains films d’avant-garde, People and Hot Dogs de Pavel Blumenfeld (1948) porte un regard tendre et ironique sur les habitants de Prague. D’autres films répondent à des missions de propagande (Avec l'oeil de la caméra de Štefan Uher et Štefan Köszeghy, 1959) ou se consacrent à des sujets scientifiques (What We Know About Light de Bohumil Vošahlík, 1954), avec une parfaite maîtrise cinématographique. The Story of the Old River, film poétique et métaphorique de Jiří Lehovec (1957), qui relate l’histoire et la vie autour de la rivière Vlata, s’inscrit dans cette lignée.

Les années soixante sont marquées par un relâchement politique qui entraîne l'assouplissement de la censure. On constate alors une explosion de la créativité qui permet la reconnaissance du cinéma tchécoslovaque bien au-delà de ses frontières : la Nouvelle Vague tchèque. La grande école de cinéma tchèque, la FAMU, joue un rôle clé en formant des cinéastes tels Věra Chytilová et Miloš Forman. Connus pour leurs films de fiction, ils ont également réalisé quelques documentaires. Věra Chytilová fait immédiatement preuve d’originalité avec Un sac de puces (1962), dans lequel s’affirme déjà la liberté de ton des Petites marguerites (1966). Le film Audition de Miloš Forman (1963) s’inscrit dans une même tonalité tandis que le talentueux Radúz Činčera nous étonne avec le film It's My Bucket (1963) : apologie de l’idéologie de l’État ou critique implicite mais féroce ? Avec Fog (1966), construit autour de pièces de théâtre de l’absurde, Radúz Činčera propose un film impressionniste mais non moins critique. Un autre film étonnant, Citizens with Coats of Arms, premier film de Vít Olmer (1966), analyse la place de l’ancienne aristocratie dans la société tchècoslovaque des années soixante. Nombre de ces films sont écartés en 1968 pour ne réapparaître qu’après 1989.

La violence du Printemps de Prague, dont témoignent des documents exceptionnels tels Confusion de Evald Schorm (1968) ou Oratorio pour Prague de Jan Němec (1968), entraîne la disparition de cette liberté de ton, sans toutefois parvenir à brider la créativité des cinéastes. Si les sujets deviennent moins polémiques, la qualité esthétique n'en demeure pas moins présente. Certains films scientifiques (Lux arte facta, Václav Hapl, 1977), certains portraits d’artistes (Dialogue, Pavel Koutecký, 1981) ou encore des films portant sur des sujets sociétaux (Avec toi papa, Olga Sommerová, 1981 ou Le temps est impitoyable, Věra Chytilová, 1978 ) sans oublier le chef d’œuvre de Dušan Hanák, Images du vieux monde (1972), témoignent tous d’une continuité dans la qualité cinématographique des films, aussi bien du point de vue de la photographie et du montage que dans l’approche des sujets.

Le cinéaste qui a peut-être le plus marqué les dernières décennies du documentaire tchécoslovaque est Jan Špáta. D’abord caméraman d’Evald Schorm, il adopte ensuite un style observateur dans Cheminots (1963), film poétique sur des cheminots, et s’essaie aussi au cinéma vérité avec Pourquoi ? (1964). Jan Špáta passe aisément d’un registre à l’autre. En 1964, il réalise un essai de cinéma vérité, The Greatest Wish, qu’il reprend et finalise vingt-cinq ans plus tard (The Greatest Wish II, 1990) : deux films éloquents sur les désirs des jeunes générations et leurs évolutions en vingt-cinq ans. Les films de Jan Špáta se caractérisent par une photographie très soignée et une approche humaniste : Respice finem (1967) porte sur la solitude des femmes âgées et ne manque pas d’ironie. Quant à Mexique en fête (1971), il pourrait être un simple film de voyage mais se déploie comme une œuvre cinématographique à part entière grâce à la créativité surprenante du réalisateur.

Nous ne pouvions clore ce programme « Histoire de doc » sans un film de Karel Vachek, déjà présent en 2008 avec deux films. La première partie de la tétralogie Little Capitalist, Le Nouvel Hyperion ou Liberté, égalité, fraternité (1992), fait figure d’ovni cinématographique. Dans ce film, collage de détails a priori insignifiants et de grands moment de l’histoire socio-politico-culturelle récente de la Tchécoslovaquie, Karel Vachek, sans avoir peur des contradictions, apparaît comme un conteur inimitable des temps modernes, notamment de la fin de l’ère communiste et de l’avènement de la démocratie.

Kees Bakker

Pour la première fois, cette année, la Direction du Patrimoine s'associe aux États généraux du film documentaire avec la projection d’un film issu des collections des Archives françaises du film : Mexique en fête de Jan Špáta. Cette première contribution à « Histoire de doc » traduit la collaboration mise en place entre les services documentaires de Bois d'Arcy et l'équipe de programmation du festival. Ce partenariat est amené à s'intensifier dans les années à venir.

Présentation et débats par Kees Bakker (Institut Jean Vigo), en présence de Olga Sommerova (sous réserve).


Remerciements à Vladimir Opela, Karel Zima et leurs collègues des Archives nationales de la République tchèque (NFA), à l’Institut Slovaque du Film (SFÚ) ainsi qu’au CNC, Direction du Patrimoine.