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Les États généraux du film documentaire 2006 Fragment d'une œuvre : Manon de Boer

Fragment d'une œuvre : Manon de Boer


Deux portraits muets en Super 8 inaugurent l’œuvre de Manon de Boer. Souvent expérimenté par les cinéastes de ce format menacé, le plan séquence, induit par la durée de la bobine, se prête souvent à l’enregistrement des visages. Ici, Laurien et Robert, en 1996, filmés de face, sont concentrés sur leur activité qui accapare entièrement leur regard mis en scène. On est très proche, on les observe, ils ne nous regardent pas, ils ne parlent pas. Inutile si nous ne les entendons pas. C’est le seul moment, pourrait-on dire, où, dans les films présentés, les voix seront synchrones des corps qui les portent, mais c’est par un défaut de parole. La cinéaste va construire autour de ce « mutisme » du Super 8, la structure de ses films à venir. On y entendra une intuition prémonitoire de sa rencontre avec Suely Rolnik, pour son dernier film où l’enjeu de dissociation et de réconciliation des corps et des voix semble trouver son aboutissement.
Dans Sylvia Kristel - Paris, le film Super 8 devient sonore. Le corps parle mais pas le corps filmé. On écoute deux récits de Sylvia Kristel, identiques quant à leur objet, sa vie parisienne, mais séparés d’une année et inversés dans leur chronologie. Avec Robert, October 2001 et Laurien, September 2001, on avait retrouvé cinq ans plus tard leurs corps occupés à la même tâche, comme oubliés là. Seule leur image nous était donnée, pour guetter un imperceptible déplacement du temps. Ici, aux variations subtiles des plans répétés d’un entretien à l’autre, s’ajoutent les déplacements du récit.
Un long plan silencieux sur Sylvia Kristel ouvre le film, elle fume, on la regarde et, bien sûr, son image a vieilli. Hormis le souffle annonciateur de sa voix, le silence rendu au corps donne toute la place au regard. L’image de la comédienne disparaît alors faisant place à sa parole, pour mieux donner à entendre. Paris, filmé comme observé à la jumelle, se réduit alors à un point de fixation pour le regard et l’écoute, puis une déambulation commence et le récit de Sylvia Kristel finit par habiter la ville. Le redoublement et le mouvement du récit nous rendent ce corps familier par sa voix. Le film rend la parole à une comédienne dont l’image fut trop réduite à celle de son corps. Et quand elle s’interroge sur le manque de profondeur de ses histoires, « c’est toujours légère, comme je marche », son corps silencieux semble, derrière son visage et le souffle de sa voix, en cacher profondément les raisons.
Dans Resonating Surfaces, l’histoire de la psychanalyste Suely Rolnik qui, après avoir été emprisonnée, fuit la dictature brésilienne, révèlera ce qui peut se nouer au fond de cette parole et de sa voix. Ce qui se réfugie là, « encapsulée » dit-elle, c’est une blessure protégée par la forme de cette parole, sa langue ; blessure qui ressurgit dans le timbre de la voix (cris, chuchotements, souffle, chants, musique, etc.), vibration de cette énergie vitale où se loge la résistance à la violence d’un pouvoir. Alors cette fois, pour Manon de Boer, la parole peut se superposer au corps parlant, sans synchronisme pour autant, pour prolonger encore la possibilité d’écouter et de regarder, séparément, une voix et un corps entrer en vibration.
Laurien et Robert en retrouveront-ils un jour leur voix ?

Christophe Postic


Invités : Débat en présence de la réalisatrice.