Un seul héros le peuple
Mathieu Rigouste
2020 - 81 min - Video Full HD - Couleur et Noir & Blanc - France

Voilà six ans que j'enquête autour du soulèvement populaire algérien. Mes recherches en sciences sociales ont pour fil rouge la contre-insurrection, cette forme de "guerre dans la population", modernisée et industrialisée par l'Etat français en Indochine et en Algérie puis commercialisée dans de nombreux pays, jusqu'à devenir un marché mondial.
Après la "bataille d’Alger" en 1957, la France prétendait avoir anéanti toute opposition en Algérie. Mais le dimanche 11 décembre 1960 et les jours suivants, de vastes manifestations populaires étaient organisées par les Algériens pour arracher leur indépendance. Avec souvent des anciens, et en première ligne des femmes et des enfants venus par milliers des bidonvilles et des quartiers ségrégués, le peuple algérien surgissait au cœur des centres villes coloniaux ; drapeaux, banderoles et corps en avant, face aux milices ultras, à la police et à l’armée française qui ouvrit régulièrement le feu. La répression confina au massacre, avec plus de 250 morts, mais elle ne réussit cependant pas à soumettre.
Cet épisode historique capital a été dissimulé. Il contredit radicalement le récit fondateur de la contre-insurrection et le mythe d'une excellence française sur ce marché mondial. Selon la doctrine française de "guerre dans et contre la population", la "bataille d’Alger" aurait permis de "pacifier" l'Algérie. Mais trois ans plus tard, en décembre 1960, la multiplicité des colonisés désarmés réussissait pourtant à converger et à déborder l'ordre impérial.
C'est le "Dien Bien Phu politique" de la guerre d'Algérie, une clef indispensable pour saisir le dénouement de la révolution algérienne mais aussi pour penser la place du "peuple" et de la violence dans les sociétés contemporaines. J’ai décidé de parcourir l’Algérie pour retracer cette histoire. C'est aussi une sorte de quête généalogique personnelle, sur les traces de mes grands-parents juifs algériens.
À la recherche d'historiens et de témoins, j’ai rencontré des jeunes, des femmes, des anciens qui m'ont toujours accueilli en fils, frère, cousin ou ami. Nous avons parlé de décembre 1960, de la colonisation et de la guerre de libération mais aussi d'aujourd'hui. Il semble que cette histoire suture des plaies de part et d'autre de la mer et de la guerre. J'ai d'abord voulu faire un film pour transmettre les paroles et les gestes des personnages les moins connus et les moins reconnus de la guerre d’Algérie. Raconter la multiplicité des petites pierres apportées par chacune et chacun à l'édification de la grande histoire. La manière dont un peuple s’est reconnu en mettant un puissant système d'oppression en échec. Partager les mots et les pratiques des derniers témoins de ces soulèvements populaires. Dans l’intimité de leurs lieux de vie actuels ou au long des rues qu’ils ont parcourues à l’époque, leurs corps se souviennent. La mémoire de cette victoire populaire est écrite dans la chair des témoins. Tout comme la violence coloniale était enkystée dans leurs muscles. Leurs souvenirs semblent surgir à nouveau. À travers les âges et les combats, ces témoins nous transmettent des outils. Les insurgés d'hier partagent avec nous des plans de fuite, des techniques de sabotage, des feintes de corps. Une femme explique comment elle fabriquait des drapeaux secrètement et depuis si longtemps, comment le peuple se préparait à surgir. D'autres nous révèlent ce qui selon eux a permis de déclencher l'insurrection de la Casbah d’Alger. On nous confie par où se sont