Lettre du Perou
Aline Fischer
2023 - 15 min - Vidéo Full HD - Couleur - France, Espagne

En automne 2000, j’ai perdu mon ami et amour, Michaël. Il a été assassiné dans la jungle péruvienne. J’avais connu Michaël lors d’un échange scolaire dans un lycée de Bavière. Alsacienne, je n’avais aucune attirance pour l’Allemagne, j’avais même plutôt une forme de désamour pour ma propre région, l’Alsace, qui s’était compromise avec le troisième Reich et dont le passé ne passait pas.
Annexion, collaboration, dénazification partiellement ratée. Pourtant je suis tombée follement amoureuse de Michaël, un Allemand. Pendant toutes nos années lycée, où nous nous aimions, Michi ne rêvait que d’une chose : aller au Pérou pour faire la connaissance de peuples indigènes.
Michaël, son bac en poche, réalisa enfin ce projet et parti à l’été 2000 pour l’Amérique latine accompagné d’un de ces meilleurs amis, Martin, avec lequel je partageais et je partage toujours une amitié.
Pendant deux mois, durant l’automne 2000, Michi avait disparu. On savait par Martin qu’il se trouvait dans la forêt vierge. Ce dernier n’avait pas osé s’aventurer avec lui hors des sentiers battus. Michi avait donc décidé de partir sans Martin, avec Elvis, un rocker de 22 ans aux cheveux longs, portant un tatouage de déesse inca sur l'épaule, originaire de Lima.
Michi et Elvis voulait aller à "Pongo de Mainique", "la gorge de l'ours", un lieu sacré des Indiens Machiguenga. Le Pongo se trouve au bord des dernières montagnes, il prend la forme d’un corridor de chutes d'eau avant le début de l'interminable selva bacho. Michaël a confié ses chèques de voyage et son passeport à Martin. Il avait peu d'argent sur lui lorsqu'il est parti dans la forêt. Il devait retrouver Martin dix jours plus tard à Cusco. Mais ce dernier n'est jamais venu au rendez-vous. Elvis et lui ont pris un camion en direction de Pongo de Mainique. À Ivochote, les routes s'arrêtent et ils ont donc continué en bateau sur le fleuve Urubamba pour totalement disparaître. Le père de Michaël partit avec une équipe de sauveteurs.
À 1h de marche d’un petit village, au bord du fleuve Urubamba, on retrouva Michi, accompagné de son guide, Elvis. Ils étaient enterrés à l’ombre des arbres, seuls quelques mètres les séparaient l’un de l’autre. Michi se trouvait sous 30 centimètres de terre, tout entier recouvert d’un sac de couchage. Il était couché sur le dos. Son bras gauche longeait son corps, son bras droit était replié sur sa poitrine ; la main posée sur le ventre.
Pendant onze ans, je n’ai pas réussi à poser de questions à sa famille, pas non plus à Martin qui était parti avec lui au Pérou et revint seul en Bavière. Onze années à ignorer comment Michi était mort. La seule chose que je possédais de son voyage, c’était cette image. En juin 2022, je suis partie pour la première fois au Pérou. 22 ans plus tard. Pour participer à un Lab de création cinématographique avec Apichatpong Weersathakul, dans le district de Madre de Dios, non loin de Pongo de Mainique.
J’y ai réalisé un premier court métrage, sur la base de deux transferts. Celui du meurtrier - celui de l’être aimé.