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Les États généraux du film documentaire 2018 Histoire de doc : République démocratique allemande

Histoire de doc : République démocratique allemande


Peut-on retracer l’histoire d’un pays qui n’apparaît plus sur les cartes à travers sa production documentaire ? La République Démocratique Allemande a existé pendant quarante-et-un ans (1949-1990), le Studio Cinématographique d’État (DEFA) pendant quelques-unes de plus (1946-1992). Nous tenterons d’explorer cette production, si complexe et si peu connue, en combinant approches formelle et historique.
Le 17 mai 1946, l’administration militaire soviétique accorde une licence aux cinéastes allemands pour la production de nouveaux films. Elle marque la création de la DEFA (Deutsche Film-Aktiengesellschaft), première institution cinématographique allemande d’après-guerre. Quelques mois plus tôt, Kurt Maetzig avait déjà commencé à tourner des actualités sous le nom Der Augenzeuge. Ce programme de films régulier se poursuivit jusqu’à décembre 1980. La DEFA aura produit des milliers de documentaires et de films scientifiques populaires pour le cinéma, y compris des films d’actualités. Comme pour les films de fiction, elle jouissait d’un quasi-monopole sur la production de films documentaires en RDA. Le premier est réalisé dès 1946 : Einheit SPD-KPD de Kurt Maetzig est un reportage assez objectif sur la fusion des deux partis ouvriers allemands en zone soviétique. Le SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), d’autres partis politiques, l’administration militaire soviétique, l’Union industrielle du métal, l’Union des persécutés par le régime nazi et la Croix-Rouge comptent parmi les premiers clients de la DEFA en matière de films documentaires. Les entreprises et les autorités en commandent également un grand nombre.
En 1948-1949, après une période de relative liberté, la production documentaire de la DEFA commence à subir une pression politique plus forte. Les films produits en RDA, État fondé en octobre 1949, ont pour principal objectif de persuader la société allemande de choisir le socialisme, afin de forger de nouveaux hommes et de nouvelles femmes pour le futur paradis socialiste sur terre. Au début des années cinquante, les dirigeants du SED décident de lier étroitement la production documentaire de la DEFA au Parti, à son idéologie stalinienne et à ses objectifs politiques. Les salles de cinéma présentent non seulement des courts métrages mais aussi des longs dont le but principal est de livrer une chronique ininterrompue des succès du régime. Dans ces films, émettre des doutes sur le cours des événements, mentionner des aspects discutables du développement social dans les zones d’occupation soviétiques et la RDA n’est pas permis. Ils représentent l’histoire allemande et sa situation actuelle en suivant à la lettre le canon de la propagande officielle. Le SED veille à ce que des tickets de cinéma soient distribués dans les écoles, les institutions et les entreprises, et que des centaines de milliers de spectateurs donnent l’impression qu’assister à des projections est une activité quotidienne pour les citoyens modèles de la RDA.
Ce n’est qu’au milieu des années cinquante, après la mort de Staline et l’institution du « Nouveau Cours », que la production commence à se faire plus diverse. L’engagement de Joris Ivens, qui produit le long métrage international Lied der Ströme (1954), donne une nouvelle impulsion à la production documentaire de la DEFA. Annelie et Andrew Thorndike réalisent, à partir d’archives issues de différents pays, plusieurs films qui se penchent sur le cours de l’histoire allemande à travers le vingtième siècle, sur l’émergence des deux guerres mondiales et sur la carrière des anciens nazis en RFA, en suivant la ligne marxiste-léniniste orthodoxe de l’époque. Grands cinéastes de propagande, les Thorndike ont souvent exposé des faits incontestables à travers un montage innovant, mais ils ont également pu faire passer de simples soupçons pour des vérités...
En 1962, un an seulement après la construction du mur de Berlin, la DEFA produit Schaut auf diese Stadt de Karl Gass. Ce grand film de guerre froide témoigne d’une aversion radicale pour le développement occidental et affirme la supériorité historique de la RDA et du système socialiste. Faisant preuve d’une grande virtuosité formelle, Gass dépeint Berlin-Ouest comme une ville affreuse, pleine d’espions, de vieux industriels nazis, de bellicistes et de saboteurs de la CIA – les mêmes problèmes seront cités dans les slogans des étudiants de Berlin-Ouest en 1968…
La séparation de la RDA a souvent donné aux documentaristes de la DEFA l’illusion sans fondement, et parfois un espoir solide, qu’ils pourraient un jour travailler dans un système plus ouvert. Une jeune génération de réalisateurs formée à l’Université de Babelsberg et sincèrement engagée au service de la vie et de la réalité de son pays commence à travailler à la DEFA. Karl Gass sera leur maître spirituel : son film Feierabend (1964), qui adopte un point de vue critique sur les ouvriers et les montre pour la première fois en train de boire et de faire la fête, deviendra un glorieux symbole de liberté, loin de l’héroïsme stakhanoviste des années cinquante. Gass, qui dirige le cursus de cinéma documentaire à l’université et pilote à partir de 1961 son propre groupe de travail artistique au sein du département du documentaire de la DEFA, encourage Winfried Junge à produire une série de films sur les enfants du village de Golzow. Comme Junge, d’autres réalisateurs importants de sa génération témoignent d’une envie de contribuer à la démocratisation de la société est-allemande en montrant les nouveaux modes de vie, les difficultés et les espoirs de ses citoyens. Des films marquants sont réalisés au milieu des années soixante par une nouvelle vague de cinéastes dont les membres les plus célèbres sont Jürgen Böttcher, Gitta Nickel, Karlheinz Mund, Kurt Tetzlaff et Volker Koepp. Le cinéma direct et le refus des voix off idéologiquement marquées deviennent leurs stratégies communes. Dans ces films, qui prennent souvent la forme de longues séries et sont tournés sur de nombreuses années, les réalisateurs proposent aux protagonistes de parler directement de leur travail, de leur temps libre, de leurs rêves et d’amour : des sujets dangereux, comme le manque de démocratie dans un pays socialiste, deviennent assez courants, même si certains films seront censurés. La qualité des meilleurs films documentaires de la DEFA est principalement due à des opérateurs exceptionnels : Thomas Plenert, Wolfgang Dietzel, Christian Lehmann et Hans Eberhard Leupold, entre autres, font toujours preuve de virtuosité et de sensibilité.
Walter Heynowski et Gerhard Scheumann occupent une position privilégiée dans la production documentaire de la RDA : entre 1969 et 1982, ils dirigent le Studio H&S, financé par l’État mais officiellement indépendant de la DEFA. Le studio est considéré comme un atelier artistique indépendant et produit principalement des œuvres anti-impérialistes et anticolonialistes. Nombre de films produits au sein du Studio H&S s’intéressent aux cycles de guerre et de paix au Vietnam, au coup d’État au Chili, au génocide cambodgien, ou encore aux origines nazies de la RFA. Dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, ces films-essais radicaux sont vivement remarqués à l’international. La plupart d’entre eux sont des œuvres de propagande sophistiquée, directement inspirée de l’avant-garde soviétique.
À l’automne 1976, Wolf Biermann est déchu de sa nationalité par les dirigeants du SED. Cet événement, ainsi que la tentative du gouvernement d’imposer des règles plus strictes aux artistes de la RDA, frappe également la production documentaire de la DEFA. Jürgen Böttcher, Richard Cohn-Vossen et Heinz Brinkmann protestèrent contre ces mesures et durent subir une très forte pression politique. Dans les années quatre-vingt, la production documentaire de la DEFA montre la réalité de la RDA de façon plus critique. Les films abordent des sujets qui étaient autrefois tabous, donnant lieu à une situation paradoxale : les productions financées par la DEFA s’efforcent d’évoquer certains faits entre les lignes, malgré la résistance de l’État et des bureaucrates du Parti.
Après l’effondrement du SED et la chute du Mur en 1989, les œuvres expérimentales de la génération no wave, punk et féministe – Thomas Heise, Gerd Kroske, Andreas Voigt, Eduard Schreiber, Petra Tschörtner, Sybille Schönemann, Helke Misselwitz – décrivent l’état d’esprit des citoyens de la RDA, à la fois désespéré et touchant, et analysent les nouvelles difficultés causées par la violence capitaliste suite à la réunification de l’Allemagne.
En 1990, le studio de production documentaire de la DEFA devient une société à responsabilité limitée qui sera mise en vente par le bureau des privatisations. Pour obéir aux conditions de cette privatisation, le studio licencie la plupart de ses employés jusqu’à la mi-1991. La qualité des films documentaires de la DEFA perdurera à travers les nouvelles productions des cinéastes est-allemands. Même si une grande partie des réalisateurs, auteurs et opérateurs prirent leur retraite, perdirent leur emploi ou changèrent de métier, les œuvres de nombreux cinéastes de l’ex-RDA comptent toujours parmi les documentaires allemands contemporains les plus importants.

Federico Rossin


Séances présentées par Federico Rossin.

Avec le soutien du DEFA-Filmverleih, des Archives Françaises du Film et du Goethe-Institut.
Remerciements à Mirko Wiermann, à la Filmuniversität Babelsburg Konrad Wolf et au Bundesarchiv-Filmarchiv.