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Les États généraux du film documentaire 2016 Route du doc : Brésil

Route du doc : Brésil


Au Brésil se font ressentir les effets d’une politique gouvernementale qui valorise la production, la distribution et la diffusion des films. Cette politique a été mise en place plus particulièrement à partir du premier mandat du gouvernement Lula (2002) et sa poursuite est maintenant entachée d’incertitude à cause des récents événements politiques. En 2015, cent vingt-huit films brésiliens sont sortis en salles et quarante-huit d’entre eux étaient des films documentaires. Concernant le documentaire, l’investissement public s’effectue à la fois par une législation d’incitation fiscale (qui permet des abattements fiscaux et l’exonération de taxes aux sociétés impliqués dans des projets audiovisuels par le biais d’un soutien, co-production ou investissement) et sous la forme des programmes consacrés au financement de la production cinématographique, qui apportent des aides aux projets et des commissions, mis en place et assuré par l’ANCINE (Agence Nacional du Cinéma).
Sans mettre de côté les problèmes qu’affronte toujours le documentaire (comme la difficulté liée à l’accès à la télévision), l’accroissement de la production représente non seulement un changement considérable, mais aussi une accumulation qualitative d’expériences que nous pouvons remarquer dans l’expérimentation et dans le développement sur le long terme du travail de certains auteurs (l’œuvre d’Eduardo Coutinho est en ce sens emblématique), ainsi que dans la démocratisation (à peine développée) des moyens de production et d’accès à la réalisation – mentionnons ici le cinéma produit aujourd’hui aux périphéries de grands centres urbains et dans les villages indigènes.
La même politique étatique a permis la croissance inédite de festivals de cinéma au Brésil, dont certains sont aujourd’hui très spécialisés (festivals de documentaire, de court métrage, voués à la réflexion autour d’images d’archives et de la préservation du patrimoine cinématographique brésilien, programmations dédiées à la création cinématographique des banlieues des grandes villes, festivals comportant des thèmes spécifiques comme le féminisme, le cinéma queer, etc.). Ces festivals jouent un rôle majeur dans la diffusion du cinéma documentaire et sa réflexion critique, puisque l’accès du documentaire à la distribution commerciale en salles ou à la télévision reste très limité. Les universités jouent aussi un rôle important. Nous pouvons constater aujourd’hui des échanges importants, sous différentes formes, entre l’enseignement du cinéma, la communication, la production, la critique et les festivals de cinéma.
Le dialogue entre la critique (y compris universitaire) et la réalisation nourrit la production indépendante, ce qu’on peut constater par exemple dans des forums de la Mostra de Cinema de Tiradentes et du festival Forumdoc.bh.
La programmation présentée à Lussas couvre quelques lignes fortes de la production récente du documentaire au Brésil. Le cinéma des réalisateurs et des collectifs de la périphérie de grands centres urbains, caractérisé par sa vigueur et sa créativité, peut être représenté par quelques films : les deux longs métrages d’Adirley Queirós, réalisateur de Ceilândia (District fédéral), Quintal, un court métrage d’André Novais, l’un des créateurs de Filmes de Plástico, de Contagem (État du Minas Gerais), et également Le Tigre endormi d’Affonso Uchoa. Dans ces œuvres, la frontière entre documentaire et fiction est volontairement franchie, comme si l’expérimentation dans le cinéma pouvait et devait s’affranchir des conventions pour montrer la complexité de ce qui fût, de ce qui est vécu, et aussi de ce qui aurait pu être.
Dans As Hiper Mulheres, collaboration entre le réalisateur indigène Takumã Kuikuro, le réalisateur Leonardo Sette et l’anthropologue Carlos Fausto, se dévoile la richesse et la coexistence de points de vue nés d’ateliers de réalisation dont le projet Vídeo nas Aldeias (« Vidéo dans les villages ») constitue un exemple important. Grâce à ces collaborations, le cinéma indigène est l’une des nouveautés les plus significatives du cinéma brésilien et renverse de manière considérable la tendance historique à la domination, la soumission et l’« objectification » des peuples indigènes dans ses représentations. La fraîcheur de sa mise en scène articule représentation des rites traditionnels (provoqués pour le film, mais pas intégralement contrôlé par lui, comme dans As Hiper Mulheres), images du quotidien (d’un point de vue complètement novateur) et détours par la fiction.
Le travail sur les images d’archives et la réflexion sur le témoignage caractérisent les œuvres qui cherchent une approche cinématographique de la période de la dictature militaire (1964-1984), films où l’accent est mis sur la mémoire des résistants et des victimes, comme nous le voyons de manière différente mais tout aussi rigoureuse dans Photos d’identification et Os Dias com Ele. Dans un pays où la politique de « l’amnistie illimitée » a été adoptée sans création d’une commission de la vérité et la réconciliation (une Commission Nationale de la Vérité assez mineure n’a été mise en place qu’en 2012, pendant le premier mandat du gouvernement de Dilma Roussef, presque trente ans après le retour de la démocratie), le cinéma joue aujourd’hui un rôle important dans l’écriture de l’Histoire.
À travers des dispositifs novateurs et uniques, des films comme Recife Frio, Câmara Escura et Doméstica, tous réalisés par des cinéastes du Pernambuco (État situé au nord du Brésil), nous montrent la récurrence d’une autre préoccupation importante dans le cinéma contemporain : l’effort pour rendre sensible la question complexe du rapport de classes dans le Brésil urbain, un rapport entre les différentes classes sociales hérité de l’époque coloniale mais auquel se sont ajoutés de nouveaux ingrédients. Les stupéfiantes inégalités sociales brésiliennes sont de plus en plus représentées, comme dans Doméstica, surtout dans la relation filmeur/filmé (adolescents fils de patrons et « leurs » domestiques). L’importance de ces films ne tient pas seulement à leur sujet. Par le biais d’un « faux documentaire » (Recife Frio) ou d’un effacement du réalisateur de la mise en scène (Câmara Escura et Doméstica), ils mènent une réflexion sur le statut de l’image dans le monde actuel.
Ressurgentes, long métrage qui dépeint depuis Brasilia les mouvements de lutte pour une réforme politique, contre l’exclusion sociale et économique et en faveur de changements urbains qui ont culminé avec les manifestations de juin 2013, apporte un élément crucial de débat pour le panorama proposé à Lussas : le montage et l’organisation narrative du matériel produit par les différents manifestants (ainsi que le vigoureux matériel produit par l’équipe du film), qui n’utilisent pas seulement la caméra comme un enregistreur d’images mais comme un mécanisme de défense, de fabrication de preuves (face à la répression policière) et de témoignage instantané du présent (diffusé en direct sur les réseaux sociaux). Avec leurs caractéristiques déstabilisantes, les milliers d’heures de « matière brute » produites et diffusées dans ces circonstances posent aujourd’hui un nouveau défi pour les chercheurs et les documentaristes.

Cláudia Mesquita et Christophe Postic, avec la collaboration de Naara Fontinele


Débats animés par Cláudia Mesquita, Naara Fontinele et Christophe Postic.
En présence d’Adirley Queirós.