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Les États généraux du film documentaire 2016 Expériences du regard

Expériences du regard


Cailloux

Pendant des mois nous sommes allés de film en film. Un parcours chaotique, au hasard des inscriptions et des présélections, traversant des pays, des situations, des propositions que rien ne semble relier entre eux.
Reste aujourd’hui une vingtaine d’oeuvres que nous avons choisi de montrer, de partager avec vous.
Ce sont plus que jamais des objets singuliers. Chacun arc-bouté sur son projet, protégeant de façon quasi obsessionnelle son territoire, les frontières qui le définissent, son lieu, son temps, sa forme propre.
Depuis trois ans, c’est cette singularité, cette radicalité que nous défendons, face à tant d’autres films qui ne prennent pas le risque d’être eux-mêmes, pour le meilleur et pour le pire.
Cette solitude des œuvres parle aussi de la solitude de ceux qui les font. Elle est grande. Le champ du documentaire est plus éclaté que jamais. Toutes les durées, tous les modes, toutes les formes sont aujourd’hui possibles, laissant chacun libre de réinventer son cinéma. Mais avec aussi l’obligation de l’assumer, seul, sans les excuses d’un formatage imposé par les chaînes de télévision qui ont depuis longtemps déserté le champ, ni le secours des anciens dogmes du « film documentaire d’auteur ».
L’absence de modèles et de références peut déconcerter. Elle est à l’image de ce que nous vivons aujourd’hui. La fin des grandes certitudes, du bloc contre bloc (Est-Ouest, documentaire-fiction), mais aussi l’émiettement du collectif, l’atomisation, la confusion, le refus ou l’incapacité de dire les choses comme elles sont. Dans ce moment de grand flou, la précision, l’attention au réel, deviennent une pierre de touche, un acte politique.
Le « réel », le grand mot dont le documentaire s’est tellement nourri, et dont les frontières semblent aujourd’hui si difficiles à définir. On ne peut plus se faire d’illusions sur les démarches simplement naturalistes, cette captation de tranches de réalité qui est devenu le terrain de prédilection de la télévision, pas plus que sur les pratiques imitant ce que le cinéma de fiction a de pire : casting, personnages, psychologie de bazar et drame en trois actes.
Pourtant la ligne de partage existe. Elle ne tient pas aux outils. Peu importe que ce soient ceux du cinéma direct, du film joué, du film d’animation ou de toutes les nouvelles formes que l’avenir nous réserve.
Elle tient aux objets qu’ils produisent. On ne leur demande plus de rendre compte d’un grand réel fantasmatique, mais d’être, plus modestement, réels en eux mêmes. De faire le travail du film sans posture, sans faire, comme on dit, « son cinéma », de refuser tout aussi fortement de recycler pour la énième fois les formules usées dont la télévision (mais pas seulement elle) est si friande, de ne pas se contenter de cette sorte de parasitisme documentaire où seul règne le sujet.
C’est une ligne de crête difficile à tenir. L’éthique du réalisateur y compte tout autant que son acharnement et son regard. Et le résultat n’est jamais garanti. Mais même quand ils sont imparfaits, inachevés, ces films font leur travail, qui n’est pas de nous distraire ou nous aveugler le temps d’une séance, mais de rester avec nous longtemps après, pour nous aider à mieux voir.
C’est le dénominateur commun des films que nous avons choisi : qu’ils parlent de la poétique de notre cerveau ou d’une ville ukrainienne assiégée, des songes d’un vagabond portugais ou de la dérive d’un cargo néo-capitaliste, qu’ils soient rêveurs ou froidement cliniques, qu’ils durent six minutes ou deux heures, ils produisent quelque chose qui va bien au delà de l’assentiment thématique, du regard compassionnel ou du simple spectacle.
Une fois vus, ils nous appartiennent. On les garde avec nous, comme un caillou dans la main.
Voilà donc notre collection de cailloux, un collectif éphémère dans ces temps de confusion, mais peut-être aussi de petits jalons traçant une sorte de chemin, même si personne aujourd’hui n’est capable de dire où il mène.

Stan Neumann et Stefano Savona


Débats animés par Stan Neumann et Stefano Savona.
En présence des réalisateurs et/ou des producteurs.