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Les États généraux du film documentaire 2014 Fragment d'une œuvre : Eric M. Nilsson

Fragment d'une œuvre : Eric M. Nilsson


Quand et pourquoi vous êtes-vous dirigé vers le cinéma et en particulier vers le cinéma documentaire ?
Au départ, j'avais pensé faire médecine. Mais pendant le service militaire en Suède, j'ai vécu pour la première fois dans des conditions de promiscuité et je me suis rendu compte que je le supportais assez mal. J'ai compris que pratiquer la médecine me serait difficile et je ne savais pas du tout quoi faire. Puis j'ai rencontré un copain, nous avons feuilleté un catalogue français qui présentait différentes possibilités d’études, disons l'architecture à la lettre A, B : biologie, et on est tombé sur le cinéma. Il y avait une école de cinéma à Paris qui s'appelait l'Idhec. Je me suis dit « Pourquoi pas ? » J'y ai fait deux ans d'études puis je suis rentré en Suède.

En quelle année ?
En 1961 ou 1962. Je pensais faire du cinéma avec des acteurs et tout le bazar, c'est ce qu'on m'avait enseigné à l'Idhec. Mais pour différentes raisons, notamment de mauvaises expériences avec l'industrie du cinéma en Suède (la Svensk Filmindustri, SF), j'ai cherché à savoir s’il serait possible de trouver du travail à la télévision, qui en était à ses débuts. J'y ai été employé de 1962 à 1967, date à laquelle j'ai quitté la télévision pour devenir freelance. Je me suis donc retrouvé, sans l'avoir demandé, au service des documentaires. Je ne le regrette pas du tout, au contraire.

Il y a quelque chose qui me semble être au cœur de plusieurs de vos films : la question du langage, le fait de capter la maladresse, les malentendus essentiels au langage avec le langage du cinéma.
Oui, j'ai rapidement été confronté à ça et ça m'intéresse beaucoup.

Ça touche à la question de la forme : vous avez essayé tout au long de votre carrière, depuis le tout début des années soixante jusqu'à aujourd'hui, de briser les frontières entre fiction et documentaire, entre cinéma direct et film-essai, en essayant toujours de trouver la bonne place pour écouter le langage du corps, la langue.
Il faut bien comprendre qu'ayant été employé à la télévision, et même par la suite, j’ai été obligé de faire à la fois des films « normaux », des documentaires où on suit un processus, que ce soit la fabrication de l’acier, du pain, ou d’une pizza, et que c’est grâce au crédit que m'ont donné ces films « normaux » que je me suis permis de faire ce qu'on peut appeler des petites folies, plus ou moins réussies. ll ne s'agissait pas exactement de faire des compromis parce que ces différentes formes de films me plaisent beaucoup. Si ce qui se passe devant la caméra est intéressant, il n'y a pas de raison de ne pas s'y intéresser. Mais, par contre, il est très amusant et très intéressant de faire ce que vous voulez : d'écrire, d'utiliser le son et l'image pour finalement les confronter tous les deux au regard du spectateur. Le spectateur regarde et suit un raisonnement qui trébuche souvent d'ailleurs.

Est-ce que l'emploi du mot « essai » au sujet du cinéma vous convient ?
C'est un mot qu’on utilise depuis Montaigne… Je ne sais pas. On l'a utilisé au sujet de mes films en Suède également. Je ne l'ai jamais très bien compris et finalement je ne me pose plus la question. Moi j'appelle ça des lek filmer, ça veut dire des jeux, des films où je joue. L'essai est peut-être quelque chose qui semble, à mes oreilles, un peu trop sérieux. Comme si on essayait quelque chose : non, je n'essaie pas, je fais !

Il y a une question récurrente dans le documentaire : la place de la maîtrise et de la « non-maîtrise », c'est à dire du hasard devant la caméra et aussi au niveau du son.
Ça, c'est quelque chose que je dis souvent : l'essence même du documentaire c'est justement qu'en principe, on ne sait pas du tout où l'on va ! Les producteurs de télévision, comme les autres d'ailleurs, exigent qu'on leur présente un projet et ils s'attendent à ce que l'idée qu'ils s'en font soit réalisée dans le film. Or, un documentaire, on ne sait pas où ça vous mène ! Ce qui au départ peut être l'idée centrale s'avère très vite se déplacer lentement vers la périphérie simplement parce que quelqu'un a dit telle chose et que telle image est ajoutée.

Les télévisions vous ont-elles laissé la liberté d'expérimenter ?
Vous savez, la liberté, c'est rare qu'on vous la donne ! On la prend. Parfois c'est casse-gueule, parfois ça crée des conflits, mais si l'on a suffisamment d'assurance, ça peut même aller jusqu’à l'arrogance, ça devient un petit combat de coqs ! Ce combat de coqs, il s'agit de le remporter.

Est-ce qu'il y a un grand décalage entre le projet de film que vous écrivez et ce que vous allez trouver au tournage et surtout au montage ? Ou avez-vous déjà le film en tête au début ?
Au départ, bien sûr, j'ai une hypothèse. Ça m'est arrivé aussi de partir sans aucune idée : le film Vad som helst till synes a été fait sans aucune idée de départ, l'idée même était de ne pas avoir d'idée. Mais sinon, bien sûr, j'ai une hypothèse de travail qui petit à petit se transforme. En ce qui concerne le montage, je le fais toujours moi-même. Avant je faisais également la synchronisation image et son moi-même, ce travail assez ennuyeux que l'on délègue généralement. Je me retrouvais donc avec une connaissance très approfondie du matériau. Je connaissais toutes les images, tous les sons, tous les sourires, ce qui était bien sûr formidable. Cela me permettait de me balader dans le matériau d'une autre manière que si j'avais imaginé quelque chose d'ordonné. J'avais tout en tête ! À partir de là, c'était très amusant. Bien sûr, on redécouvre des choses au montage, de nouvelles possibilités, des raccords qu'on ne connaissait pas, des associations étonnantes, bizarres. Ne serait-ce que dans les gestes : les gens qui parlent plus ou moins de choses semblables font les mêmes gestes avec les mains ! Les mêmes grimaces ! Alors on peut passer d'une grimace à l'autre.

Et le texte par exemple, la voix que l'on entend dans plusieurs de vos films, vous l'écrivez à la fin du processus ou pendant ?
Le texte ne vient ni avant ni après le montage. Il y a un moment où le film coagule, en tout cas ça prend forme et le texte est pondu en même temps. Le choix de la voix a aussi énormément d'importance. Il faut que la personne qui lit le texte ait mandat de dire ce qu'elle dit. On ne peut pas utiliser une voix enfantine pour dire des choses que seul un adulte est capable de prononcer. L'inverse est vrai également. Si l'on fait un film sur Shanes, ce groupe pop que j'ai filmé en 1964 je pense, la personne qui lit le texte est un garçon de la rue. Pas question d'embaucher un acteur qui prononcerait trop bien et avec trop de véhémence les mots. Dans Europa 1900, c'est une jeune femme qui lit les textes. C'est important. Il y a les mots, les connotations des mots, les sons, la voix et finalement on se rapproche un peu de la musique de la voix également. Et puis il y a l'ironie qui peut passer dans la manière dont on prononce un mot. Le texte a énormément d'importance dans certains de mes films, mais pas dans tous.

Dans un précédent échange, vous m'avez dit que le texte est à la fois la vérité et le mensonge du film.
Oui, bien sûr. Dans un film comme Eleonoras testamente, le texte n'est qu'un mensonge, du début jusqu'à la fin. Rien de ce qui est dit n'est vrai, mais c'est dit avec énormément d'autorité et une très bonne voix, donc ça passe.

Qu’en est-il de la subjectivité et de l'identité ? Y a-t-il une place pour l'autobiographie dans vos films ?
J'ai fait un film qui est plus ou moins entièrement autobiographique. Sinon, je fais un peu les films comme je suis. On peut probablement me connaître un peu à travers mes films, ou du moins mes centres d'intérêt. Vous savez — je vais dire une énormité, mais il faut bien la comprendre —, le cinéma, ça ne m'intéresse pas. Il y a des choses qui m'intéressent beaucoup plus. Je suis davantage un Homo faber qu'un Homo sapiens. D'ailleurs, je ne sais pas si Homo sapiens existe, on peut se poser la question. Je fabrique. J'aime faire, c'est pour cela que j'aime le montage par exemple. J'aime beaucoup la technique, les possibilités techniques ont énormément d'importance. Depuis que j'ai commencé à faire des films dans les années soixante, l’évolution technique du cinéma a été énorme, que ce soit pour les caméras plus ou moins silencieuses comme la NPR Éclair, les magnétophones comme le Nagra, ou auparavant le Stellavox… J'ai tourné mes premiers films avec des magnétophones à manivelle, avec un ressort ! On avait à peu près trois minutes de son à la fois. Il y a eu aussi l'apparition de nouvelles pellicules, plus sensibles. Ce sont là des choses qui ont énormément d'importance et qu'il faut respecter. On fait certains films parce qu'il est possible de les faire. Un film comme Shanes était impossible en 1962. Je crois que c'est le premier film qui ait été fait en Suède avec cette caméra Éclair qui ne faisait pas trop de bruit et qui permettait de prendre du son en même temps : deux personnes, une caméra et un Nagra.

Qu'est-ce que vous construisez à part des films ?
Je suis en train de travailler sur un vieux bateau en bois. J'habite aussi une maison qu'on est en train de retaper, une vieille maison en bois du dix-septième siècle. Je travaille beaucoup, j'ai toujours fabriqué des choses. Je suis un manuel ! Les gens s'imaginent que je suis un intellectuel mais je ne sais pas si c'est vraiment le cas.

Entretien avec Eric M. Nilsson réalisé par Federico Rossin


Débats animés par Federico Rossin.
En présence d'Eric M. Nilsson.