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Les États généraux du film documentaire 2014 Expériences du regard

Expériences du regard


Nos chantiers de A à Z

Que dire d’autre que ce que les films que nous avons choisis ont à nous dire ? Nous ne voulons pas parler à leur place, ni les épingler comme des papillons sous verre, par genre, style, tendance, etc. Nous les avons aimés pour ce qu’ils ont de vivant et qui échappe à toute classification. Mais puisqu’il faut quand même dire quelque chose, voici, en vrac et par ordre alphabétique, quelques-unes des choses qui nous sont passées par la tête en les découvrant. Des fragments décousus, des coups de cœur, des partis pris, et des empreintes qu’a laissés en nous cette « expérience du regard ».

A comme Attention.
Faire attention, être à la fois attentif et en attente. Ce que Walter Benjamin (parlant de Franz Kafka) appelait « la faculté d’attention ». Voir le monde comme quelque chose à déchiffrer, patiemment. L’inverse de l’attitude prédatrice — j’arrive, j’ai tout compris, j’attrape, je repars avec le butin. Tous les films qui nous ont touchés ont en commun cette disponibilité, cette ouverture.
Mais aussi A comme Absence, saisir le creux, la trace, des films jetés comme des filets, des trames par dessus le vide.

B comme Beau, ou pas Beau.
Aucune importance. Seule compte l’énergie filmique.

C comme Cinéma.
Le mot « cinéma », souvent exprimé comme un reproche. Faire son cinéma. De quoi méditer pour tout cinéaste.
Mais aussi C comme Cinéma, qui, sans rapport avec ce qui précède, nous a formés et nourris et qui fait qu’on continue à parler de films et non de programmes. On l’a vu à l’œuvre dans les films que nous avons choisis. On ne sait pas le définir. Sauf peut-être que le film par opposition au « programme » est le lieu de l’imprévu, le lieu ouvert où tout peut nous arriver.
Mais aussi C comme Complexité : ce n’est pas une qualité en soi, il ne s’agit pas de faire compliqué. Mais quelques-uns de nos films préférés ont le courage de saisir la complexité à bras le corps, de mélanger les lieux, les temps, les personnages et les perspectives. C’est une façon d’aimer le cinéma, de continuer à faire confiance en sa capacité à saisir toute la richesse et la difficulté du monde.

D comme Début.
Certains films n’arrêtent pas de commencer. Présentation, introduction, pré-générique, voire pire : bande-annonce. Un scénariste à qui on demandait quel était le meilleur moment pour commencer une scène, répondait : « Le plus tard possible. » Cela vaut pour le film tout entier. Comme tout spectateur, notre préférence est allée aux films qui nous ont pris à la gorge à la première image et ne nous ont plus lâchés.

E comme Ellipse.
Nous avons tous les deux une prédilection pour les films troués, qui laissent passer l’air. Incomplets, imparfaits, disjoints. Dans leurs fissures se trouve notre place.

F comme Fin.
Voir Début. Le même scénariste, à qui on demandait quel était le meilleur moment pour finir une scène, répondait : « Le plus tôt possible. »
Mais aussi F comme Figure. Un film n’existe qu’en inventant sa propre façon de figurer le monde, sa propre forme.

G comme Géographie.
Nous avons aussi eu le plaisir naïf de nous laisser emmener loin pour voir ce que l'on n’a encore jamais vu. Renouer avec l’enfance du cinéma tout en sachant qu’aujourd’hui l’innocence ne suffit plus.

H comme Histoire.
Peu de films de la présélection se confrontent à l’histoire, à la conscience historique. Comme si seul existait le présent, le local. C’est une attitude de bon sens, plutôt les faits et les gens que les slogans et les grands discours. Mais cela accroît le sentiment d’atomisation et de solitude. Et par là même, nos films préférés ont quelque chose de désenchanté — mais ce n’est peut être que la traduction de la solitude réelle des réalisateurs d’aujourd’hui.
Mais aussi H comme Humour. Denrée assez rare, même dans notre sélection. Manque presque aussi souvent que la conscience historique. Y a-t-il un rapport ?

I comme Intentions.
Les bonnes intentions ne font pas un film. Les mauvaises non plus d’ailleurs.
Mais aussi I comme Images. Ce ne sont pas les images qui font les films, mais ce qui se passe entre les images.

J comme Jeu.
Le film comme prise de risque, comme lancer de dé. Un jeu dont on ne connaît pas l’issue mais dont on fixe soi-même les règles.
Mais J aussi comme Je. Ce « je », si difficile, si envahissant parfois. Un dosage problématique, mais est-ce vraiment une question de dosage ? Certains des films que nous avons aimés ne cessent de dire « je », mais ce qu’ils nous disent c’est « je partage ».

K comme rien.
Nous écrivons en français et à la lettre K aucune idée ne nous vient, seul un souvenir de Karl Kraus qui, pour expliquer son silence d’un an après l’arrivée de Hitler au pouvoir, a écrit : « Quand je pense à Hitler, aucune idée ne me vient », superbe définition du rapport entre nazisme, fascisme et travail de la pensée.

L et M comme Long Métrage.
Il y a aujourd’hui une obsession de la longueur. Quatre-vingt-dix minutes sinon rien. C’est un nouveau type de formatage directement lié aux conditions de diffusion. Si on devait ne regretter qu’une seule chose de la télévision ce serait qu’elle a permis les formes courtes. Et pourtant, quand la durée vient de l’intérieur, quand elle est la respiration même du film, le temps lui même disparaît...
Et aussi M comme montage. Nous croyons voir dans beaucoup de nos films un retour à une pratique du montage au sens que Vertov ou Eisenstein donnaient à ce mot : choc d’images libérant de l’énergie, créant du sens. Est-ce un recul de l’idéologie du « cinéma direct » (et du fameux « montage interdit » de Bazin) ? Un retour aux sources du cinéma maintenant que la lune de miel avec la télévision est terminée ? Une simple illusion d’optique ?

N comme Naturalisme.
Le réalisateur est un médiateur. Il ne peut pas se contenter de « capter » du réel, il doit toujours le lire et le retranscrire à sa façon. La position naturaliste ne suffit pas. Un film ne se réduit jamais à une « situation intéressante » (comme on disait autrefois des femmes enceintes), vue par un œil intelligent.

O comme Outils.
On ne parle plus de « dispositif », on est devenu plus pragmatiques : on parle maintenant d’outils, de tous les procédés spécifiques que le réalisateur met en œuvre dans son film. La palette s’est beaucoup élargie, surtout avec les formes fictionnelles et l’animation. Une liberté formidable, quand elle est utilisée à bon escient.

P comme Personnage.
Le Personnage est devenu une figure incontournable du documentaire. Qui se souvient encore qu’il n’en a pas toujours été ainsi ? Qui s’étonne encore quand un documentariste parle de « casting » ? Cela va parfois de pair avec un aplatissement du film sur le personnage, qu’on enfourche comme un cheval et à qui on laisse faire tout le travail. D’où une règle simple : le réalisateur, dans son travail, doit être aussi fort que le personnage qu’il filme. Ni plus ni moins.

Q, encore une lettre difficile.
On pourrait dire Qualité/Quantité mais on n’a pas envie de forcer. On passe.

R comme Réalisateur.
Nous le sommes nous-mêmes. Cette plongée dans l’expérience du spectateur nous fait voir comme au microscope nos propres travers, et le principal : croire que le spectateur s’intéresse à nous, à nos prouesses, alors qu’il ne s’intéresse qu’à ce qu’on parvient à montrer, à raconter.
Il n’a donc que faire de nos raisons et de nos états d’âme, de nos sentiments, ou pour paraphraser une lettre de Lou Andréa Salomé au jeune Rilke : « Les films ne sont pas des sentiments, mais des expériences. » Des expériences partagées.

S comme Sélection.
Subjective, est-il besoin de le préciser ?

Et il y aurait encore : T comme Tournage (c’est là que se font les films), U comme Utile, on aime bien que les films servent à quelque chose, V comme Vrai, le vrai du film n’est pas forcément vraisemblable ou véridique, sans parler de XYZ qu’on laisse à votre imagination — la place nous manque et, de toute façon, le meilleur moment pour finir c’est toujours le plus tôt possible.

Bonnes projections.

Stan Neumann et Stefano Savona


Débats animés par Stan Neumann et Stefano Savona.
En présence des réalisateurs et producteurs.