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Les États généraux du film documentaire 2011 Fragment d'une œuvre : Gunvor Nelson

Fragment d'une œuvre : Gunvor Nelson


L'artiste américano-suédoise Gunvor Nelson figure parmi les cinéastes expérimentaux les plus importants de sa génération. Formée par le milieu artistique de San Francisco dans les années cinquante et soixante, elle a exercé une influence énorme sur le cinéma d'avant-garde américain depuis son premier film en 1965. Les thématiques au fondement de son cinéma personnel, onirique et tactile, sont : l'enfance, la mémoire, l'idée d'un chez-soi/d'une patrie et du déplacement, le vieillissement et la mort, la beauté matérielle des forces naturelles. Gunvor Nelson est parmi les rares artistes suédois qui ont eu l'honneur d'une rétrospective au MOMA de New York (2006).

Vous êtes une artiste européenne, pourtant vous vivez et travaillez depuis longtemps aux États-Unis : comment ces deux cultures et héritages imaginaires peuvent-ils coexister dans votre travail ?

D'habitude je ne réfléchis pas sur ce qu'il y a d'européen ou d'américain dans mon art. J'ai passé de nombreuses années aux États-Unis — en fait la majeure partie de ma vie d'adulte — et j'ai intégré l'influence de la culture américaine si lentement que je n'ai pas remarqué son impact sur mon travail. Bien sûr, je pourrais regarder en arrière et d'une manière ou d'une autre faire le tri et suivre la trace de quelques aspects importants, mais j'ai l'impression de toujours me concentrer sur quelque chose de nouveau et, avec gratitude, je laisse l'analyse aux autres. Pour moi, il est clair qu'il y a une culture artistique commune entre les pays, et il n'y a pas beaucoup de différence entre le fait d'être artiste en Europe ou en Amérique, surtout à l'heure actuelle où la communication est si facile. Je préfère voir les similarités plutôt que les différences.

À l'encontre des cinéastes expérimentaux qui vous étaient contemporains — dans les années soixante et soixante-dix — votre travail ne peut être réduit à une critique simplificatrice : vous avez développé une liberté formelle très rare.

Je ne sais pas si j'ai une liberté formelle rare en comparaison avec d'autres. En vieillissant, je ne me compare pas à d'autres artistes. En 1965, lorsque j'ai fait mon premier film avec Dorothy Wiler, j'avais peu de connaissances de la culture du cinéma d'avant-garde. J'avais passé de nombreuses années dans des écoles d'art, mais n'avais aucune expérience du cinéma et pas vraiment d'attentes précises, donc j'étais libre d'expérimenter. Je voulais simplement m'exprimer comme artiste. Nous nous sommes beaucoup amusées à faire Schmeerguntz, un film rempli d'absurdités tout comme l'est la vie. Il a été bien accueilli et peu à peu j'ai appris à mieux connaître la culture du film d'avant-garde. Cela n'a pas changé ma manière de penser la fabrication des films : je faisais simplement mes œuvres personnelles. J'étais entourée d'une culture tellement riche dans la région de San Francisco : la peinture, la musique, le cinéma, et tout cela m'a influencée bien sûr.

Le corps féminin est un thème récurrent de vos films : quelle est la pulsion créatrice qui vous a poussé à travailler en profondeur sur ce sujet ?

Il me semble logique d'avoir fait quelques films depuis une perspective féminine, depuis ma propre perspective. À travers le télé-objectif, on peut s'approcher d'un sujet de très près, tellement près que s'ouvrent de nouvelles manières de voir. Des territoires inexplorés éclosent si vous vous rapprochez suffisamment et n'importe quel sujet, tel le corps humain ou l'intérieur d'une fleur, peuvent devenir extrêmement intéressants. Des plans d'ensemble d'un paysage peuvent être juxtaposés avec des gros plans, créant dans le montage des sauts spatiaux excitants. J'utilise ce genre de montage de plusieurs manières dans mes films : par exemple dans la vidéo True to Life ou le film Light Years. Ce dernier film est un voyage à travers le paysage suédois, la distance étant rompue par des animations en très gros plans, des fruits qui pourrissent ou d'autres petits objets. Je suis très préoccupée par la chorégraphie d'événements dans mes films, ce qui arrive ensuite — la juxtaposition de plans, ce qui se passe entre eux et avec eux pendant le déroulement du film.

La mémoire et le passé familier sont dès le départ un thème central de votre imagination. Il est étonnant que dans vos films il n'y ait pas de blessures à panser ou des distances à traverser, mais une béatitude domestique sincère et émouvante...

C'est la première fois que j'entends dire qu'une béatitude domestique sincère serait un ingrédient essentiel de mes films. J'espère qu'on peut découvrir d'autres couches de sens à travers les sons et les images. Dans Red Shift, par exemple, on passe de la lumière et de la beauté à l'obscurité, effrayante et dangereuse, aux absurdités et à la tendresse. Mais je ne cherche pas l'évidence, les films doivent être ouverts à l'interprétation et aux sentiments du spectateur.

Dans vos films suédois, vous creusez le paysage en profondeur avec vos yeux et vos mains et vous découvrez des similarités et des visions imprévues : quel est votre rapport poétique avec ce paysage ?

J'aime beaucoup la beauté du paysage suédois avec ses vieilles maisons rouges dans la campagne verte, et dans les films Light Years et Light Years Expanding j'ai essayé de le montrer. Mais en réalité j'aime tous les paysages. Même les villes sont importantes pour moi, comme San Francisco ou Stockholm. J'ai fait trois films sur le paysage urbain, Frame Line, Kristina's Harbor et Old Digs.

Entretien avec Gunvor Nelson, par Federico Rossin


Coordination : Presentation et débats par Federico Rossin (critique de cinéma et programmateur dans différents festivals).