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Les États généraux du film documentaire 2010 Afrique

Afrique


Pour ceux qui, depuis des années, suivent cette sélection, vous savez que l’objectif de cette programmation est d’observer l’émergence d’une génération de cinéastes documentaristes africains et simultanément de mettre en lumière les œuvres fortes réalisées en Afrique par des documentaristes, le plus souvent européens. Si l’objectif est de vous faire découvrir les œuvres de l’année, cette programmation n’en est pas pour autant un inventaire des meilleurs films.

Cette sélection obéit à une double logique. La première, c’est l’œuvre pour l’œuvre. L’unicité de l’œuvre artistique qui prolonge l’unicité de l’auteur. On sait tous que suivre la programmation d’un festival c’est parfois garder le souvenir d’un seul film, « le film inoubliable ». Mais les limites de cette vision romantique, exclusive, c’est que le film inoubliable n’est souvent pas le même pour tout le monde et qu’un festival est la mise en lumière d’un nombre conséquent de films. L’autre logique, ce sont les œuvres entre elles. Les films sélectionnés sont comme un troupeau de chevaux au galop ; en considérant que les œuvres se parlent, se répondent, qu’elles fonctionnent comme une composition dont la première force est de nous émouvoir et de nous amener à penser. Une programmation n’est donc pas la compilation des « meilleurs films » mais un assemblage pensé et soigné favorisant le dialogue des œuvres.

Le deuxième point concerne « le territoire et le cinéaste ». Il s’agit de marier deux logiques qui pourraient apparaître contradictoires, celle du cinéma en Afrique et celle du cinéma africain : à côté de l’instrumentalisation du continent africain par la production d’images documentaires exotiques ou sensationnelles (de National Geographic à Voyage…), il est magnifique de voir chaque année des documentaires de création réalisés en Afrique par des auteurs indépendants venus principalement d’Europe. Ce qui évidemment est une chance pour l’Afrique et pour tous, et l’on imagine combien les sociétés européennes gagneraient à être filmées par des documentaristes de talent africains, indiens, chinois... Encore faut-il que ces films soient repérés et montrés, c’est l’un des objectifs de cette programmation. Bien sûr, pendant des années, ces documentaires de création réalisés en Afrique par des auteurs indépendants venus principalement d’Europe ont rendu encore plus évident et plus criant le fait que les africains ne puissent eux-mêmes documenter leur réel et celui d’ailleurs. Il y a une nécessité de civilisation à ce que, où que l’on soit, des créateurs indépendants donnent des représentations documentaires de leurs mondes. Depuis une petite dizaine d’années, le volontarisme des uns, associé à la légèreté des outils numériques, a permis l’émergence d’une jeune génération de cinéastes africains. De fait, aujourd’hui, les œuvres se multiplient et l’on peut raisonnablement penser qu’un tissu de documentaristes et de producteurs indépendants africains soit durablement installé.

Cette année, j’ai pensé cette programmation sur trois temps distincts, en prenant le soin, à chaque fois, d’aborder une question particulière : autour de premiers films d’ateliers et de jeunes étudiants africains, pour tenter de saisir en quoi l’association d’œuvres produit une musicalité, une couleur, qui tout en nous documentant sur les sociétés africaines, écrit l’histoire et le sens spécifique d’un mouvement cinématographique naissant. Si j’ai choisi de vous montrer cinq films de jeunes réalisateurs (Le Prix du sang de Anne Elisabeth Ngo Minka, On n'oublie pas, on pardonne de Annette Kouamba Matondo, Cris du chœur de Sébastien Tendeng, Un peuple, un bus, une foi de Simplice Ganou, Changer de peau de Salamatou Adamou Gado), cinq films qui documentent des réalités sociales fortes, c’est parce qu’ils posent de manière particulièrement vigoureuse la question du rôle et de la confrontation du cinéma documentaire aux réels des sociétés africaines. La question centrale et permanente du sens de ce cinéma nous donnera à penser et à nous interroger autrement sur le principe de sa nécessité et sur le rôle d’un film ici et là-bas.

Qu’est-ce qui fait qu’une œuvre documentaire aboutie est toujours la représentation d’une relation forte et juste entre le filmé et le filmeur ? Dans L’Ombre des marabouts, le réalisateur Cheikh N'diaye part de l’idée d’interroger l’islam de l’autre, mais en se tenant à distance. Il installe dès le début un dispositif de récit qui situe l’origine historique de la puissance des Mourides – la principale confrérie musulmane du Sénégal. En parallèle, on découvre le quotidien professionnel de quatre hommes sénégalais qui, dans l’accomplissement du rituel de leur croyance, vont nous conduire au pèlerinage annuel de Touba, au cœur de la puissance politico-religieuse des Mourides. Le film documente ainsi, de manière implacable, le constat de la puissance et la critique du pouvoir, tout en laissant habilement une sorte d’ambiguïté, qui permet sans doute au film d’être acceptable aux yeux des autorités.

Le film d’Alassane Diago, Les Larmes de l’émigration, est à bien des égards exceptionnel. Il développe dans une sobriété élémentaire un temps cinématographique en harmonie avec le temps des personnes filmées. Il souligne une nouvelle fois à quel point un cinéma documentaire très sobre, très personnel, a une résonance-monde et au-delà du fait que seul ce jeune réalisateur filmant sa mère pouvait nous faire accéder à ce réel, il confirme que la voix d’un cinéma de l’intime en Afrique est immense et qu’un auteur est né.

S’il est souvent juste de dire qu’un cinéaste vivant dans une réalité est mieux placé pour s’immerger et donc la cinématographier que quelqu’un qui la découvre, il est également juste de dire que la question à poser à un documentariste n’est pas : « d’où es-tu ? » mais plutôt « vers où vas-tu ? » Il est absurde d’opposer les Africains filmant leurs Afriques aux documentaristes du monde filmant l’Afrique. Il faut impérativement montrer et interroger les regards croisés des documentaristes du monde. Cela nous rappelle que la démarche d’un cinéaste documentariste est d’abord celle d’un territoire mental qui vibre et s’invente dans une valse avec le réel.

Dans Au nom du Père, de tous, du ciel, Marie-Violaine Brincard s’attache à filmer la parole de quelques Justes du Rwanda. Il y a dans la distance aux gens et dans le filmage de la nature et de ses sons, une composition délicate qui donne incontestablement une grande puissance cinématographique aux êtres.

Kafka au Congo de Arnaud Zajtman et Marlène Rabaud, relate la rencontre de deux humbles déterminations : celle d’une Congolaise, personnage en quête de justice, et celle d’un couple de journalistes devenus cinéastes et déterminés à filmer simplement le parcours de cette femme, à la bonne distance et en le contextualisant. Ce film a deux qualités qui, pour une fois, se marient : celle du journaliste d’investigation qui filme les faits, rien que les faits, et celle du cinéaste qui, dans l’épure et la sobriété, trouve par le temps du tournage et la répétition du dispositif, la matière d’un récit aussi implacable que l’ignominie du réel qu’il révèle.

Kinshasa Symphony de Martin Baer et Claus Wischmann est avant tout un film réjouissant. Il égrène, dans un montage lisible, les conditions absolument terribles dans lesquelles se débattent les Kinois (habitants de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo) pour survivre ; comment, appartenant à une congrégation, ils vont inventer un orchestre symphonique. C’est la métaphore de la fleur qui pousse au milieu des immondices, c’est l’éloge très judéo-chrétien de la détermination à faire vaincre la communauté du beau et du bien, c’est enfin, sur le plan du filmage de la musique, quelques moments de grâce inoubliables.

Jean-Marie Barbe

En prolongement de cette programmation « Afrique », le film Dance to the Spirits de Ricardo ĺscar sera projeté en plein air mardi 24 août à 21h30. Voir p. 141.