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Les États généraux du film documentaire 2009 Incertains regards

Incertains regards


Dans ce monde de l’image, quelles images du monde attendre encore du cinéma documentaire ? Trop d’images déjà ne viennent-elles pas faire écran entre le monde et nous ? Nous empêcher de voir et de penser ?
À visionner plusieurs centaines d’heures de films documentaires pour opérer la sélection que nous vous proposons cette année dans le cadre de cette vingt-et-unième édition des États généraux, nous nous sommes forgés au moins une conviction : le cinéma documentaire demeure un outil sans pareil pour découvrir le monde dans ses aspects les plus divers, du plus proche au plus lointain, dans une infinie liberté de ton et de forme. Ce n’est bien sûr pas par hasard ni au nom de seuls critères esthétiques que nous avons désiré montrer Bassidji de Mehran Tamadon ou encore deux des films réalisés dans le cadre d’un atelier Varan à Kaboul. C’est bien l’existence de tels films réalisés aujourd’hui et avec de très modestes moyens qui seule nous permet d’affirmer que le cinéma documentaire est bien vivant et qu’il est plus nécessaire que jamais lorsque par exemple, il nous permet de relier d’un film à l’autre ces enfants laveurs de voiture filmés à Kaboul aux migrants que Sylvain George filme obstinément à Calais dans l’Impossible
Face à la logique de la modernité et ses chaos sociaux, humains, face à la violence politique, chacun pose sa caméra de façon vitale, radicale. La possibilité d’une utopie reprend corps, interroge ses figures, ses espaces, sa logique, le temps d’un film. Que ce temps-là se fasse chronique du réel ou du virtuel, essai ou lettre filmée (Jean-Louis Comolli, Marcel Hanoun, Vincent Dieutre), chacun réinvente en soi une possibilité de dialogue avec l’autre, avec les autres.
Certains personnages que vous découvrirez dans les films se souviennent d’une étreinte avec l’Histoire, veulent retrouver leurs amours perdues avec elle, retrouvent une place et des gestes, une identité commune, des paysages enfouis ou naissants. Le cinéma et les cinéastes de notre temps sont au travail (films sur André S. Labarthe, Naomi Kawase, Jia Zhang-Ke, René Vautier, Archipels Nitrate de Claudio Pazienza). Le verbe renversant de l’écrivain Marcel Moreau sur le visage de Denis Lavant, dans Donc, rend visible le cheminement et les sensations de l’écriture. Ni portraits, ni biopic, ces films sur le geste de création, sur des créateurs en mouvement transmettent des imaginaires, tissent leur matière intime, disent le monde. Grâce à des rencontres avec eux. De l’art de la rencontre au cinéma. De l’art d’aimer.
Certains cinéastes habitent les lieux des institutions d’hier et d’aujourd’hui avec ceux qui en sont les acteurs en chair et en os : de la prison de femme de Venise (Fondamenta delle convertite de la réalistrice italienne Penelope Bortoluzzi) aux lieux de soins psychiatriques (Asylum de Catherine Bernstein et Valvert de Valérie Mréjen). D’autres habitent les territoires de la ruralité comme Dominque Marchais ou tentent de se réinventer une communauté dont le comédien Jacques Bonaffé est le héros (Jean-Pascal pour la France de François Nouguies).
Ces films sont autant de regards singuliers sur des liens naissants, défaits, à transmettre ou à reconstruire dans le paysage contemporain. Dans tous ces regards, des passeurs de l’invisible scrutent, suivent une communauté impossible ou en réinventent d’autres : à ce titre, le documentaire demeure plus que jamais un formidable laboratoire de fiction.
Nous avons souhaité clore cette édition avec The Cat, the Reverend and the Slave où les nouveaux pionniers de « Second Life » refont leur Amérique. Pour pouvoir se mettre à nu, les fantasmes de notre temps ont le clavier facile. La parole de Dieu est dans une église virtuelle animée par un couple de prêcheurs à la foi redoublée grâce à leur nouvel outil, la quête d’un mari dans un club S.M. virtuel où il retrouve son épouse, partie du domicile dans la vraie vie avec un joueur de « Second Life ». « Second Life » vous permet aussi de retrouver tous vos amis qui en pincent pour les costumes animaliers : le fantasme enfin réalisé de se parer d’une peau de chat au bureau et de l’assumer est salutaire…
Les bêtes ne sont pas que dans la jungle, c’est bien connu. Pourvu qu’on ait l’ivresse, pourvu qu’on ait la fourrure, nos écrans sont ouverts… Le peuple virtuel aura-t-il le fin mot ? Le peuple n’est pourtant pas virtuel par définition, même si certains politiques de notre temps voudraient bien l’oublier. La quête de nouvelles utopies est en bataille sur nos écrans de cinéma. Dans toute sa modernité, la poétique des images et de l’émancipation est plus que jamais en action. Nous vous y invitons.

Fleur Albert et Gérald Collas


Invités : Débats à l'issue des projections en présence des réalisateurs.