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Les États généraux du film documentaire 2009 Histoire de doc : Roumanie

Histoire de doc : Roumanie


« Histoire de doc : Roumanie » focalise son attention sur l’histoire esthétique du documentaire roumain, riche d’œuvres surprenantes et de grande qualité, malgré l’histoire mouvementée que le pays a traversée pendant tout le vingtième siècle. Ce programme a été conçu avec l’aide de Bujor Rîpeanu, spécialiste du documentaire roumain.
Culturellement, la Roumanie a été influencée par l’Europe occidentale, et notamment par la France. En mai 1896, le cinématographe des Lumière débarquait à Bucarest et un an plus tard les premiers films roumains ont été tournés par Paul Menu, opérateur de la compagnie Lumière. Durant les premières décennies du vingtième siècle, le cinéma de non-fiction est marqué — comme ailleurs — par les films d’actualité, avec une production importante de l’opérateur Tudor Posmantir, par les films scientifiques du Dr Gheorghe Marinescu et par les productions présentant les traditions folkloriques du pays. Les premiers documentaires sont bien ancrés dans ce contexte : la recherche scientifique, les traditions et le cinéma d’actualité, comme le montre la compilation de Bujor Rîpeanu. Vers la fin des années vingt, plusieurs films à caractère ethnographique et/ou sociologique marquent l’évolution du documentaire roumain. En 1929, Drăguş — viaţa unui sat romănesc (produit sous l’égide du professeur Gusti de l’Université de Bucarest), est une étude sur les traditions, l’économie et la vie quotidienne du village. Ce même village a été revisité à deux reprises à quarante ans d’intervalle, ce dont témoigne le film Drăguş 2 x 40. Par la suite, dans les années trente, plusieurs films adoptent cette approche ethnographique et scientifique, où l’observation se mêle parfois à une présence très marquée de la caméra et de l’équipe de chercheurs.
Paul Călinescu apporte ensuite une dimension plus cinématographique et — si l’on peut dire — griersonienne au documentaire roumain. Son Bucarest (1936) va au-delà de l’étude scientifique, marqué par le regard propre du cinéaste et dénonçant les contradictions sociales de la ville. Ce ne fut guère apprécié par les autorités de l’époque. Moins critique mais davantage cinématographique, grâce à une photographie très soignée, Călinescu réalise Le Pays des Motzi, un film social et ethnographique, dont la qualité cinématographique fut récompensée au festival de Venise en 1938.
1938 est également l’année où le roi Carol II met un terme au régime parlementaire, essayant de museler aussi bien les fascistes que le Parti communiste. Successivement pro-allié, pro-nazi en 1940 (avec le général Ion Antonescu) et communiste à partir de 1945, le régime devient de plus en plus répressif. La production documentaire reste assez régulière, mais fortement marquée par les films de propagande. Cependant, certains films se distinguent par leur qualité esthétique, comme Rapsodie Rustică de Jean Mihail, film impressionniste et poétique, ou La Conduite de gaz de Paul Călinescu, qui — à la manière d’Eisenstein — sait véhiculer l’enthousiasme de la jeunesse communiste pour la construction d’une conduite de gaz. Beaucoup de films s’inscrivent également dans le contexte politique de la collectivisation agricole et l’industrialisation, mais là aussi on découvre parfois une originalité surprenante comme dans Petrolul de Jean Georgescu, ou Scrisoarea lui Ion Marin către ziarul Scânteia de Victor Iliu ou Un minut, le premier film de Ion Bostan.
En 1949, les studios Sahia sont créés et assurent une croissance constante de la production documentaire. La censure joue un rôle de plus en plus important, déterminant en partie les choix de sujets : portraits d’artistes (George Georgescu : Dirijorul, Un artiste acusă o lume), nature (Ion Bostan, par exemple, avec ses documentaires sur le delta du Danube) ou encore d’autres sujets moins sensibles. Néanmoins, elle n’empêche pas, dans les années soixante, le développement d’un cinéma documentaire — propagandiste — de grande qualité. Bicaz cota 563 ou Uzina en sont deux exemples : belle photographie et montage efficace donnent des films extraordinaires sur les grands chantiers et l’industrialisation du pays. D’autres cinéastes s’approprient un langage documentaire plus impressionniste : Gabriel Barta adopte avec Gara une approche d’observateur à la Bert Haanstra ; Stuf de Titus Mesaroş apporte une dimension pathétique en utilisant la musique de la Carmina Burana ; Romanțe aspre de Slavomir Popovici, sur le démantèlement de locomotives à vapeur, nous fait penser à la poésie réaliste et sociale du film Enginemen, de Michael Grigsby.
Les années soixante étaient, d’un point de vue politique, des années de — légère — détente, ce qui a libéré le ton de certains films de l’époque. Cazul D (1966) en est une bonne illustration mais peut-être aussi l’exception la plus marquante. Ce film hors norme s’inscrit comme une sorte d’exercice de cinéma-vérité « à la roumaine », ironique et humain à la fois : l’équipe n’hésite pas à confronter un de ses protagonistes, un homme à la recherche de sa fille adoptive, à ses propres mensonges. Un autre film, réalisé quelques années plus tard, a beaucoup influencé le documentaire roumain. En mai 1970, suite à des inondations très importantes, une grande équipe de réalisateurs et cadreurs, dont Dan Pița, Mircea Veroiu et Stere Gulea, a produit Apa ca un bivol negru. Leur regard humaniste ne plaît pas à la censure, qui trouve le film « trop esthétique » et incite les réalisateurs à ajouter des séquences (les premières) qui louent les efforts de reconstruction grâce à la politique réactive de Nicolae Ceauşescu.
Ces deux films annoncent le discours social de nombreux documentaires des années soixante-dix et quatre-vingt. Cette tendance mondiale du documentaire est beaucoup plus osée en Roumanie où la censure se durcit. Des réalisateurs de la nouvelle génération, comme Sabina Pop (Ioane, cum e la construcții ?, Panc) et Laurențiu Damian (Maria Tănase, Niveau zéro, tous deux sortis après 1989), ont davantage d’accrochages avec la censure, ceci malgré le fait que leurs sujets (portraits d’artistes ou de sportifs, travail) s’inscrivent, au moins en apparence, dans une tradition du documentaire roumain. Mais le regard sur le collectif est remplacé par un regard sur l’individu, ses rêves et ses malheurs. Le portrait d’un champion olympique, Iar ca sentiment un cristal de Bose Ovidiu Pastina, liste bien son palmarès, mais le film véhicule surtout la solitude de l’athlète. L’absence de dialogues et de commentaire renforce ce sentiment et fait du film une œuvre remarquable. On retrouve ce même type d’approche, où l’esthétique fonctionne comme un coup-de-poing, dans Le jour viendra de Copel Moscu, mais la critique sur la société n’y est guère implicite. Le film fut interdit et ne sortit qu’en 1992.
La révolution de 1989 mit fin à la dictature de Ceauşescu. Elle a ensuite marqué de nombreux documentaires roumains. Tournés sur le vif ou à partir de matériel récolté, plusieurs films témoignent de ces moments de pleine révolte, d’espoir et de liberté (Jurnal liber, Timişoara, decembrie 1989). La sensation de vivre en direct la révolution devient palpable. Les films de Cornel Mihalache montrent et analysent également l’ambiguïté de la situation. Déjà dans À Noël nous avons pris notre « ration » de liberté, il pointe les différences de regards sur les événements. Avec le recul, on s’aperçoit que tout n’était pas si simple : 1989, Sang et velour (1989) essaie d’analyser la complexité des situations en décembre 1989, ce qui ne fait qu’alimenter les doutes et les questionnements que l’on peut avoir sur la révolution même.
Dans la production plus récente, de plus en plus riche mais également de plus en plus formatée, nous retrouvons certains thèmes traditionnels du documentaire roumain : portraits d’artistes, films sociologiques et/ou ethnographiques. Les artistes sont souvent porteurs de l’histoire du pays, ce qui rend ces films riches d’enseignements (Brâncuşi, Duo pour pauloncelle et petronomme). La démarche de fine observation et d’analyse de la société contemporaine est reflétée par des films qui s’attachent à des personnes et/ou des traditions se situant plutôt en marge de la société d’aujourd’hui (La drum, Les Feux des mortsr).
Si certains films récents trouvent encore leur ancrage dans l’histoire documentaire de la Roumanie, la production actuelle est très diverse et il est important de souligner que le documentaire roumain d’aujourd’hui s’inscrit complètement dans les tendances européennes et télévisuelles.

Chaleureux remerciements au Romanian Film Center (CNC roumain), aux Archives nationales du film roumain et à l'Institut Roumain.

Kees Bakker


Coordination : Kees Bakker


Invités : Cornel Mihalache (réalisateur) et Bujor Rîpeanu (spécialiste du documentaire roumain).