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Les États généraux du film documentaire 2009 Afrique

Afrique


Pour cette édition, j’ai choisi de vous montrer sept films, finis ces derniers mois ou dernières semaines, qui composent la première collection Lumière d’Afrique. Leurs réalisatrices et réalisateurs viennent du Togo, du Mali, du Niger, du Burkina-Faso et du Sénégal. Il s’agit bien de vous faire découvrir un ensemble, une collection d’œuvres de nouveaux auteurs documentaristes africains, de la plus aboutie à la plus incertaine. Un peu comme on pourrait explorer l’intégralité de l’œuvre d’un auteur en essayant bien évidemment de faire la critique de chaque film, mais aussi d’analyser les liens « identitaires, culturels » qui existent entre ces documentaires de création, qui sont tous des premiers ou deuxièmes films. Les conditions de fabrication seront certainement interrogées, mais elles ne constituent pas l’objet principal de notre attention. Ce que je vous propose de tenter d’approfondir, c’est la place du réalisateur dans son film et le lien entre la forme du récit et la société africaine que chacun tente d’explorer. Comment les jeunes auteurs africains déploient-ils leurs regards et s’émancipent-ils des multiples déterminismes extrêmement puissants qui les environnent (déterminismes religieux, politiques, familiaux) ? Ce sera l’une des questions qui traversera cette programmation. En guise d’introduction aux projections et aux débats, voici quelques points d’observation.
Le « Je » apparaît au fil des ans, dans nombre de films, comme l’une des pistes empruntées par les auteurs pour raconter leurs expériences. Ainsi, avec le courage romantique des pionniers et l’innocence générationnelle, ne soupçonnant souvent pas la puissance qu’ont leurs regards, ils révèlent les contradictions et les non-dits, et font exister des points de vue qui vont souvent à contre-courant des tabous.
Les œuvres documentaires existent dans des sociétés africaines où l’absence d’images (hors l’image d’information) est généralisée. Ces films arrivent donc dans des sociétés où les images africaines élaborées sur les sociétés africaines sont rares. Ils ont donc une résonance et un effet beaucoup plus puissants que dans des sociétés saturées d’images comme celles du Nord.
Les femmes documentaristes sont particulièrement à l’œuvre et dans l’œuvre. Elles ont accès à des univers réservés. Leurs actions quotidiennes en tant que femmes et leurs places extrêmement importantes dans la marche des sociétés africaines en font des raconteuses d’expériences fortes. Elles racontent souvent leur propre vécu, au moins dans ces premiers films. De ce point de vue, ces auteures, en rejoignant les fondamentaux du genre, élaborent un cinéma d’un courage rare. Mais ce qui marque aussi profondément dans cette collection, c’est finalement la porosité et la curiosité entre le monde des hommes et des femmes.
Avec Boul Fallé, la voie de la lutte de Rama Thiaw, c’est à travers la lutte traditionnelle, l’éloge des corps et du corps à corps entre une jeunesse étouffant et une société sans possible. Son film, par le commentaire et les séquences introductives, fait l’historicité du mouvement. Comment sa génération, celle des quartiers de Dakar en rupture, a modifié profondément dans les années quatre-vingt-dix la société sénégalaise ? C’est une jeune fille qui, en apparence, filme un monde d’hommes, celui de la lutte traditionnelle, mais en révèle en fait le sens générationnel.
Gentille M. Assih dans Itchombi filme au nord du Togo un rite de circoncision concernant des hommes adultes. Ce qui m’intéresse beaucoup dans le cinéma de Gentille, c’est sa curiosité des autres. Elle fait apparaître de l’intérieur l’originalité d’une pratique ethnique qui n’est pas la sienne et filme caméra au poing la vitalité violente d’un rituel masculin, confirmant la porosité des mondes féminin et masculin et intégrant un point de vue majeur : le risque de contamination du sida et la préoccupation sanitaire qui doit nécessairement faire évoluer la tradition.
Awa Traoré dans Waliden, enfant d’autrui trace l’itinéraire des enfants bafoués par l’adoption traditionnelle. C’est au fond son histoire et l’on sent bien qu’elle s’est retenue. Ce premier film, dans lequel elle se met en scène, est un hommage à la parole des anciens, ceux qui constituent son équilibre et qu’elle respecte au point de ne faire qu’esquisser le tragique de ces adoptions et celui de sa propre histoire, mais c’est déjà beaucoup.
La Gardienne des étoiles de Mamadou Sellou Diallo est un exemple assez incroyable de ce que la nouvelle génération de documentaristes africains peut nous offrir en terme de connaissance de l'autre. En tant qu’homme, il filme le monde et le corps des femmes africaines comme jamais elles n’ont été représentées. Il construit une leçon poétique qui prend appui sur une adresse à sa fille. Sa voix-off littéralement poétique tresse le lien entre sa fille, sa future femme et le tragique qui parcourt l’existence de la condition féminine. En filmant le soin et l’attention portés aux corps des femmes, il fait le portrait de la violence faite à ces corps. Les scories et les stigmates sont autant de mémoires de la peau qui donnent à voir les meurtrissures de l’existence sociale. C’est le corps comme un livre ouvert sur des quotidiens de survie. Sellou, plan après plan, dessine la représentation d’une conscience de la condition féminine au Sénégal.
Sani Elhadj Magori dans Pour Le Meilleur et pour l’Oignon !, en bon agronome, part de la culture de l’oignon pour raconter l’histoire d’un couple et les péripéties de son mariage. Il filme les siens dans son village. La construction très rigoureuse du scénario et la proximité, l’intimité — qu’il sait filmer —, en font un film de cinéma où les frontières stylistiques entre documentaire et fiction sont totalement brouillées ; les personnes filmées ont face à la caméra une présence incroyable. Cela confirme la puissance documentaire des réels visibles des sociétés africaines et la promesse d’un nouveau cinéma que contient cette première œuvre.
Dans La Tumultueuse vie d’un déflaté est un film né d’un auteur écrivain amateur — Grand Z — et de son ami réalisateur — Camille. Le premier, Burkinabé de cinquante-cinq ans, écrit un projet documentaire qui raconte sa vie de licencié des chemins de fer, « un déflaté », mais il ne veut pas être le réalisateur du film, il n’est pas cinéaste. À partir de son récit, son jeune ami français Camille, qui admire la dimension de « personnage » autant que la puissance de ses textes, fait le pari de filmer « ce Beckett africain ». Cela donne un film aérien sur un univers plombé où la misère sociale abîme les êtres, mais à laquelle l’incroyable vitalité poétique de Z, de ses textes, et de leurs interprétations, donne une profonde légèreté. L’entreprise Bolloré, en ne donnant pas l’autorisation de filmer les locomotives au réalisateur Camille et au cheminot Z nous prive d’un réel composé de pistons de bielle et de voyageurs entassés, mais en cadeau laisse Camille mettre en danse le meilleur et l’élégance d’un poète ignoré.
Le film de Luc Abaki et Augustin Talakeana, Autopsie d’une succession, n’est pas un grand film au sens formel du terme, parfois long et un peu répétitif. C’est néanmoins un film important. En effet pour la première fois, il s’agit du récit des semaines tumultueuses qui ont marqué le décès du dictateur Eyadema et de la question de sa succession. La grande qualité du film réside dans la tentative de donner une lecture politique de l’histoire immédiate. L’image documentaire atteste (la preuve par l’image) du processus chaotique de marche vers la démocratie. C’est un film politique qui établit une sorte de mouvement inaugural : désormais un auteur et un producteur togolais, vivant au Togo, racontent de l’intérieur, avec beaucoup d’habileté, le passage de la dictature à la démocratie, et nous donnent une lecture personnelle et documentée des événements. Ce n’est rien de moins que la prise en main par l’écriture documentaire du récit de l’histoire politique immédiate. Ce film a valeur de symbole, il est le premier.

Jean-Marie Barbe


Invités : Débats en présence des réalisateurs.