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Les États généraux du film documentaire 2008 Route du doc : République tchèque — Et un détour par la Slovaquie

Route du doc : République tchèque — Et un détour par la Slovaquie


Les films documentaires tchèques aiment à se rappeler comme tel au spectateur dès le générique de début : « un film documentaire », « un portrait », voire pour les films étudiants l’annonce du nombre de plans. Un effet d’annonce qui se renforce parfois d’une certaine exhibition de la mise en scène et révèle la fabrication du film, comme pour attester de sa véracité. Mais le recours très fréquent au montage alterné et parallèle nous rappelle que derrière la caméra, un cinéaste tire les ficelles et que ça joue, devant et derrière la caméra.
Ludique, baroque, provocante, kafkaïenne, libre et critique, telle a été la nouvelle vague du cinéma tchèque des années soixante avec Ján Nemec, Vera Chytilova, Jiří Menzel, Evald Schorm… et Karel Vachek qui poursuit aujourd’hui encore son entreprise documentaire dans un style unique. Son film, L’Hellade morave, « Un reportage » sur le festival folklorique international de Strážnice en 1963, est une caustique mise en boîte des artisans locaux du folklore, musiciens, blagueurs, habitants, organisateurs… Avec humour et dérision, le film mélange allègrement vérités et légendes et enquête au grand jour sur les coulisses de la grande fête. Le film fera scandale comme beaucoup d’autres de la nouvelle vague qui seront interdits pendant plus de vingt ans après l’invasion soviétique de 1968. La trilogie Le Petit Capitaliste (1992-2000), dont nous avons choisi de présenter le dernier volet Bohemia Docta, marquera son retour au cinéma après une période d’exil. On y retrouve notamment une mise en scène ostensible et on découvre comment les tournants de l’Histoire ont conduit le cinéaste à intervenir de plus en plus dans ses films, donnant toujours à voir le dispositif, dans un style parfois exubérant. Karel Vachek continue d’influencer la jeune génération en dirigeant le département documentaire de la célèbre faculté de cinéma de Prague, la Famu, dont la majorité des documentaristes tchèques sont issus. Présenter un panorama conséquent de ces premiers films d’étudiants permettra de mesurer la liberté formelle qui les caractérise.
Contrairement à une partie de la production confrontée à une certaine uniformisation — peut-être moins imposée par une télévision nationale très investie qu’influencée par une tendance plus générale du documentaire — ces films d’école s’affranchissent encore des contraintes de genre : grands reportages, enquêtes, portraits hagiographiques, séries thématiques, où le cinéma se retrouve vide de tout regard critique, de toute réflexion et en premier lieu sur le film même. Alors la mise en scène peut se réduire à des effets, à des dispositifs appauvrissants ou spectaculaires et montrer le film en train de se faire, à la manière d’un Vachek, ne suffit plus à préserver l’intégrité présumée d’un dispositif si celui-ci se construit au détriment de ceux qu’il filme.
Les films de ces étudiants s’essaient à raconter des histoires, chacun à leur manière, mais toujours avec ceux qu’ils filment. Si l’Histoire, peut-être trop imposante, semble tenue à distance et qu’il n’en reste que des échos lointains, ils regardent avec attention ceux qui les entourent, à proximité, géographique et affective, et de ces récits contemporains émergent doucement des questions plus essentielles. De leur entourage, ils dressent aussi le portrait, exercice imposé mais très présent dans le cinéma documentaire tchèque. Portrait vivant d’un poète bien portant (Ivan Martin Jirous), délicats portraits posthumes d’artistes dans le regard de leur compagne, pudiques et discrètes héritières d’un passé et d’une œuvre (Jiři John, Jan Křížek) et portrait d’exilé avec le magnifique film de Kateřina Krusová qui accompagne les préparatifs du Retour de Jan Vladislav de son exil parisien à Prague en été 2003. La jeune cinéaste invente un film qui devient une terre d’accueil pour le poète et pour elle-même, une réconciliation avec le temps, celui de l’Histoire et celui du cinéma, car de « retour » il n’y a point dans le film. Prague reste une ville imaginée. À côté des grandes fresques dressées par Vachek, on aborde ici des tableaux intimistes dont le récit incarné compose une mémoire par procuration.
Autre hypothèse, risquée, pour approcher une réalité : se « débarrasser » de la caméra comme dans Kha-chee-pae pour la confier à des enfants placés dans une institution. L’idée est délicate mais sa mise en œuvre est portée par le jeu des enfants, mis en scène dans des séquences d’animation qui ponctuent le film de leurs inventions et de leur rêveries, celles là qui les font tenir debout au cœur des turbulences et des tensions.
Tous ces films portraits, en restaurant une intégrité du corps filmé, autorisent à nouveau des récits mis en scène derrière lesquels le corps du cinéaste peut alors s’effacer. Avec Mme Le Murie, film troublant et envoûtant, Petr Vacláv nous mène au fond des bois à la rencontre d’une femme seule. Dans son immense maison délabrée, vestige d’une famille qui a traversé les époques, elle nous conte son histoire de laquelle sa voix et son corps sont les plus fidèles des mémoires. Les histoires des maisons sont celles de ceux qui les peuplent et parfois les y retiennent pour toujours mais les histoires d’exils continuent aussi de hanter les maisons et empêchent parfois d’y revenir.
Dans Home, la réalisatrice, à force d’insistance, de questions posées aux parents qui ne se posent en fait qu’à elle-même, finit par donner consistance à une certaine banalité des histoires familiales : où habiter quand on hérite d’un exil ? Avec Sold, le retour à Prague est douloureux : on y liquide le passé en vidant la bâtisse des locataires devenus indésirables. Le film recourt en force à la dérision pour mieux surmonter le désarroi des habitants qui se prêtent au jeu, car en dehors du film ils n’y croient plus. Dans Une maison à Prague, les deux derniers descendants ne peuvent s’y résigner : ils ne la vendront pas. Stan Neumann porte un regard extérieur même s’il fait partie de cette famille dont l’histoire est étroitement liée à l’histoire politique du pays. C’est dans cet entre-deux que le film se faufile, entre implication et distance, entre restauration et liquidation, entre mise en scène et observation, entre images d’archives d’actualités et images intimes d’aujourd’hui. Là où Jan Šikl recompose méticuleusement, dans Private Century — Low-Level Flight, un récit sur la base de films Super 8 amateurs et de journaux intimes des années soixante et soixante-dix, Martin Sulik choisit lui de rejouer entièrement le journal du cinéaste disparu, Paul Juracek, et de confier le rôle au fils du cinéaste. Le résultat est bluffant.
Ce rapport à la vérité et à ce qui se raconte là, devant la caméra, traverse le cinéma documentaire tchèque comme un écho à la « normalisation » qui suivra l’invasion soviétique du 21 août 1968 pour briser le mouvement du printemps de Prague et recouvrir le cinéma d’une chape de plomb. Quarante ans plus tard, en cet autre anniversaire, jour pour jour, le film nécessaire d’Evald Schorm, Confusion, nous le rappellera.
Enfin, nous ferons un détour par la Slovaquie en commençant par l’enthousiasmant Blind Loves, petit trésor de mise en scène, d’histoires d’amours difficiles mais dignes et délicates (Cf. plein air). Les courts métrages de Milan Balog très fictionnels composent des portraits ou des tableaux cyniques et ubuesques en répondant parfois à la commande « L’Europe autour de nous ? Nous dans l’Europe ! » (sic). Dans un style cette fois classique, et de manière plus frontale, Hey you Slovaks ! livre un état des lieux très contrasté des situations de ses habitants et des ruptures qui s’installent à l’aube d’un espoir européen sûrement bien illusoire pour les plus démunis. À cet égard, Soňa and Her Family remet les pendules à l’heure. Film fragile et sur la corde raide, il nous plonge au cœur d’un village de Roms et d’une famille très nombreuse. La jeune cinéaste, par une pudique relation d’intimité avec la mère, nous permet d’être là face aux débordements de la vie qui les submerge et à une société qui les dénigre, en réussissant à préserver le film de l’excès. C’est une plongée brutale, mais vitale et sensible, un trou dans le paysage, un contrepoint indispensable.

Christophe Postic


Invités : Débats en présence de Petr Václav. Une séance spéciale « Photographes » présente deux films sur le photographe tchèque Miroslav Tichý. Remerciements à Andrea Slováková (The Jihlava International Documentary Film Festival), Nina Numankadič (Doc-Air), Hana Rezková (Institute of Documentary Film), Helena Zajíková (One World Festival), Tomáš Petráň et Honza Šípek (Famu), Jakub Felcman (Fresh Film Fest). Avec le soutien de l’Ambassade de France - Déborah Benattar.