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Les États généraux du film documentaire 2006 Afrique

Afrique


L’honneur gagné du documentaire africain

Commencer ce regard annuel porté sur la production documentaire africaine par un film sur les aveugles, Amma, les aveugles de Dakar, n’est ni une provocation ni le fruit du hasard — d’ailleurs, je ne crois pas au hasard. Sa genèse : Mamadou Sellou Diallo, jeune prof à la fac de Dakar, fait partie d’un petit groupe d’enseignants et d'étudiants qui gravitent autour de l’atelier théâtre de la fac Cheikh Anta Diop. On se rencontre à Gorée au cours de la résidence d’écriture d’Africadoc pendant l’hiver 2002-2003. Il décide de tenter le Master réalisation documentaire de création de Lussas, est sélectionné et devient le premier étudiant africain du Master. Pendant ces huit mois passés en Ardèche, Sellou peaufine l’écriture de son film, convainc JFR Productions de s'engager avec lui sur le projet et décroche une coproduction de France 3 Lorraine. Du côté de Dakar, le retour de Sellou, après un an d'absence, est difficile. En outre, les déboires qu'il connaît avec des producteurs de la place de Dakar le décident à créer, avec son copain Gora Seck, sa propre structure de production, Les Films de l’atelier. Ils achètent avec une partie de l’argent du film une PD 150 et du matériel son. Ils peuvent alors produire des documentaires de jeunes auteurs, en plus de leurs propres films.
L'histoire des Films de l'atelier incarne l’émergence de ces petites unités, noyaux de compétences et réseaux relationnels, chaque jour à l’épreuve de la débrouille, travaillées par le désir de jouer ou de filmer avec une autonomie de moyens et une générosité du regard.

Amma, les aveugles de Dakar introduira avec Nyani de Khassé Théra cette séance consacrée aux films issus des ateliers Africadoc. Khassé, lui, vit à Bamako et travaille à l’ORTM, la télévision malienne. C'est un homme libre, « incroyablement pas pareil ». Lors de la résidence de Gorée de 2004, il était notre président et nous, stagiaires et formateurs, étions ses ministres au gré des rires et du n’importe quoi.
À Bamako, il arpente les bars jusqu’au milieu de la nuit et parle avec les filles de la nuit. D’ailleurs, Nyani, son film au sujet de l’excision, est un film du côté des femmes, un film qui mêle fiction, entretiens, cinéma du réel, avec bonheur. Pendant le tournage, il ira jusqu'à vendre sa voiture pour le financer. Un film de combat sur l’insoutenable, l’inacceptable, un film comme l’honneur gagné du documentaire africain.

Je n’ai pas hésité une seconde à regrouper le film de Mallam Saguirou, Un Africain à Annecy, et le film de Moussa Touré, Nosaltres. Ces deux films, formellement très classiques, sont deux raretés dans le paysage documentaire. En se coltinant le filmage de l’autre — nous, les Européens —, ils inversent le rapport filmeur/filmé. Dans Un Africain à Annecy, à l’occasion d’un premier séjour en France chez son producteur, Christian Lelong, rencontré lors du Tënk de Gorée en 2004, Malam Saguirou, jeune Nigérien de Zinder dans la ville froide et bourgeoise d’Annecy, est frappé par notre richesse et les dissemblances. Il cherche à comprendre, au-delà du spectacle et des signes ostensibles de la richesse, comment, humainement, ça ne marche pas ici ! De l’injuste jusqu’à l’absurde ? Moussa Touré, lui, n’est pas dans la même innocence : cela fait près de vingt ans qu’il côtoie l’Europe. Moussa est un cinéaste qui croit et pense que le cinéma peut soigner, guérir. Il ne filme que ce qui peut rapprocher les gens. Dans Nosaltres, il filme du côté de ses frères maliens, émigrés dans un bourg catalan, et du côté des autochtones, l’absence et les tentatives de dialogue entre les gens de classes sociales, de cultures, voire de langues différentes.

« L’Afrique n’est pas filmée par les Africains ! » Ce fait est de plus en plus mis à mal par l’émergence de nouveaux cinéastes documentaires, c’est en tout cas toute la raison d'être d’Africadoc. Mais dans les films faits sur/avec l’Afrique, il y a évidemment des films plus justes que d’autres qui permettent même de dire qu’être filmé par l’autre est une chance. Les deux films de la séance de ce vendredi soir s’inscrivent dans ce regard enrichissant de bonne distance et de justes intentions de deux cinéastes français liés indéfectiblement à l’Afrique. Dans le premier, Jean-Pierre Lenoir revient sur une histoire familiale enfouie, c’est un cinéma à la première personne, un documentaire de la guérison, d’une mémoire-histoire difficile, celle de la période coloniale. Dans le second, Laurent Chevallier continue d’explorer son autre parenté africaine. Après Hadja Moï, sa grand-mère guinéenne, c’est un autre doyen qu’il nous donne à voir, un monument de beauté musicale, Momo Wandel Soumah, musicien mythique de Conakry.

L’autre temps de cette programmation est la présentation de trois films qui se coltinent le tragique de l’Histoire et le champ politique. Deux films pour un retour sur le Rwanda comme une tentative de recherche de la dignité par des approches formelles très différentes. Jean-Christophe Klotz, réalisateur de Kigali, des images contre un massacre, vient du reportage, mais le temps fait tout à l’affaire ; et le questionnement qui le taraude — les images d’information peuvent-elles changer le cours des choses ? —, l’impuissance tragique et culpabilisante du rêve de l’information portés par le réalisateur et le montage qui mêle subtilement l’image reportage qui informe et l’image qui documente, font basculer le film dans le champ d’un univers documentaire qui travaille le spectateur. Les titres des films sont souvent porteurs des intentions du film. C'est le cas de Rwanda, les collines parlent, très beau film à la sobriété implacable, sans fausse piste ni pathos. Une épure de la tragédie, une limpidité des actes et des responsabilités qui habitent les personnes du film, de guerre lasse ou de guerre vive, qui sont ces ennemis qui vivent côte à côte ?
Et si Latif avait raison !, le troisième film, est un brûlot proche du pamphlet politique. Il va de l’accusation fictive à l’analyse plus documentaire du fonctionnement du pouvoir politique en place au Sénégal, bien que le dispositif de cinéma soit classique, du filmage des entretiens à la violence des séquences de fiction. Bien que nous soyons plongés dans plusieurs registres de cinéma, l’élément fort de ce film, au-delà de son existence même, est le travail critique que les personnages déploient dans le film comme une tentative de déconstruction politique du régime, ce qui, au bout du compte, en fait un documentaire politique inhabituel. En cela, à ma connaissance, il inaugure une veine d’un nouveau cinéma documentaire politique africain.
Pour finir, nous allons présenter, dans une version quasi définitive et en plein air, le dernier documentaire de Pierre-Yves Vandeweerd, Le Cercle des noyés. Réalisé après Closed District, ce magnifique film qui filmait la guerre dans les têtes, l’imminence de la guerre. L’agencement des récits, le corps et la voix des hommes hantent les murs du silence, les pierres du désert semblent parler de la banalité de l’étouffement et, au fil du film, les témoins travaillent nos consciences et racontent ce que le pouvoir mauritanien avait cru réduire définitivement au silence.

Jean-Marie Barbe

1. "Tënk" : exprimer un point de vue de manière percutante en wolof.


Invités : En introduction de ces deux jours de programmation, aura lieu une présentation du projet d'Africadoc pour la période 2006-2009 et du projet de l'association de formations internationales au cinéma documentaire, Doc là, en présence de Jean-Philippe Bayon, vice-président de la commission des Relations internationales du conseil régional Rhône-Alpes et des responsables des actions Africadoc et Doc là.