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Les États généraux du film documentaire 2015 Fragment d’une œuvre : Michael Snow

Fragment d’une œuvre : Michael Snow


Michael Snow (Toronto, 1929) est une figure majeure de l’art contemporain. Son œuvre est à la fois une traversée des plus grands courants artistiques de la seconde moitié du XXe siècle (pop art, art conceptuel, minimalisme, land art) et une manière de repenser ces courants avec ironie, de les dépasser par une approche critique ; il est donc impossible de réduire son travail à des catégories historico-critiques trop simplistes. Pour autant, on ne peut pas non plus réduire son cinéma à la catégorie « expérimental » ni à celle de « film d’artiste ». La carrière de Snow se caractérise par les liens étroits qui unissent des œuvres réalisées sur différents types de supports. Son activité artistique a toujours été multiforme : photographie, cinéma, peinture, sculpture, installations, mais aussi musique et écriture. Ce qui surprend, c’est la reprise, la migration des mêmes concepts et des mêmes images à travers ces diverses formes. C’est comme si Snow avait toujours mis à l’épreuve des hypothèses conceptuelles en les testant sous forme de films, de livres, de photos, de disques, de tableaux… Une conception de l’activité artistique évoquant Léonard de Vinci et la Renaissance, où rien n’est clôturé. La modernité des films de Snow tient à sa perception du geste cinématographique essentiel, le mouvement de la caméra, et aux relations qu’ils explorent entre les sons et l’image. Tous ses films sont des œuvres radicales, au sens étymologique : ils ont tous clairement l’intention de mettre au jour et de bouleverser les racines du langage et de la technique cinématographiques. Ces œuvres produisent un effet à la fois psychique et physique, ce sont des machines perceptives qui bouleversent le visible et nous plongent dans une expérience profonde du sensible. Il y a toujours une volonté d’agir sur l’esprit, l’œil et le corps du spectateur. Si les films de Snow tendent à se concentrer sur un dispositif, sur un processus de construction cinématographique, ils ne sont cependant jamais « minimalistes », le cinéaste veillant toujours à ce qu’une forme puisse être appréhendée par le spectateur. Ils dévoilent et intègrent en leur sein même le dispositif filmique et le processus de travail ; parallèlement à l’extase formelle à laquelle ces films nous invitent, il y a toujours ce niveau méta-filmique et structurel pour nous faire prendre conscience de la fabrication de l’œuvre. Les films de Michael Snow sont des rituels de passage entre la perception pure et sa représentation, des jeux conceptuels et extatiques sur le temps et l’espace, jeux dont il casse parfois les règles pour mieux les mettre en valeur – n’oublions pas que depuis les années cinquante, Michael Snow est aussi musicien et que l’improvisation est sa forme d'expression privilégiée. Son chef-d’œuvre – La Région centrale – est un film dont le sujet est uniquement composé d’images de l’espace et d’effets cinétiques, sans objets, sans personnages, sans narration. Un film absolu qui reprend tous les projets utopiques des avant-gardes du XXe siècle et ouvre en même temps sur un art encore à venir. Dans de nombreuses œuvres de Snow, nous voyons se développer une sorte de scepticisme radical quant à l’image, quant à sa vérité supposée et son mensonge consubstantiel. Dans son intégralité, l’œuvre filmique de Snow est en effet une revigorante déconstruction pédagogique du continent cinématographique : nous faisons l’expérience directe des bases sur lesquelles ce continent s’est fondé et développé, et nous découvrons par là même ses limites et ses possibilités encore inexplorées. On peut envisager le travail de Snow comme un immense film-essai sur la perception et sur les infinies possibilités d’articuler l’espace et le temps. Ses films « documentent » à travers des formes toujours différentes, la crise irréversible de la subjectivité moderne et la désagrégation définitive des catégories linguistiques et cognitives fondamentales, c’est-à-dire la perte de la possibilité d’articuler et de comprendre le monde par le langage.

Federico Rossin


Débats animés par Federico Rossin.