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Les États généraux du film documentaire 2010 Incertains regards

Incertains regards


L'objet des États généraux du film documentaire de Lussas en général et de la programmation « Incertains regards » en particulier, semble aller de soi : la célébration et la défense du cinéma, du cinéma documentaire, genre longtemps tenu pour secondaire, voire mineur, par certains cinéphiles, la critique et même les professionnels. Banc d'essai pour débutants, exercice ponctuel pour cinéastes confirmés, longtemps le documentaire a dû composer avec cette image réductrice et surtout oublieuse de l'histoire du cinéma, de ses origines mais aussi de chacune des révolutions qu'il a connues. Comme si était oublié le fait que bien souvent ces mutations s'étaient d'abord produites sur le terrain du film documentaire (voir Flaherty, Vertov, Epstein ou encore Rouch...).
La chose mériterait d'être étudiée plus précisément, d'être sans doute nuancée pour la grande période du cinéma classique qui court des années vingt aux années cinquante. Il n'en demeure pas moins que le documentaire, sans doute parce que bénéficiant de plus de liberté que la fiction très tôt liée au marché, a offert un vaste champ d'expérimentations aux cinéastes et à leurs collaborateurs.

Depuis leur première édition, les États généraux de Lussas ont vu se renouveler profondément leur public. Longtemps moment singulier d'échanges entre auteurs, producteurs et diffuseurs, Lussas aujourd'hui est sans doute plus un lieu privilégié de rencontres entre les films et des spectateurs habitués de l'événement qui en ont fait leur université d'été. Chaque année le nombre de films inscrits à la sélection « Incertains regards » augmente, témoignant ainsi tant de la vitalité du genre que de l'importance que revêt une projection dans ce cadre : films d'école, films réalisés dans le cadre d'ateliers, films autoproduits ou produits dans les niches et les marges du système, films de cinéastes confirmés ou de débutants.

À l'instar de ce qui se passe dans d'autres festivals, les documentaires produits avec les plus grandes chaînes de télévision y sont minoritaires. Ils le sont plus encore si on ne considère que la vingtaine de films retenus chaque année. Il ne faut ni s'en étonner ni s'en réjouir et moins encore y chercher la preuve d'un quelconque ostracisme à leur égard. À voir l'un après l'autre les documentaires que nous recevions, il nous apparaissait de plus en plus clairement que d'un coté nous nous trouvions en face de films – plus ou moins aboutis –, de l'autre confrontés à des propositions valant essentiellement par les contenus et les informations qui y étaient divulgués. Cela peut d'ailleurs être tout à fait passionnant, prenant et même indispensable. La télévision s'alimente de ce type de programmes mais tel n'est pas l'objet de rencontres autour du cinéma documentaire. Il n'y a là aucune hiérarchie entre deux genres mais indéniablement une différence de visée et de nature. La frontière entre les deux catégories est cependant parfois floue, le terme de « documentaire de création » (inventé sinon pour séparer le bon grain de l'ivraie du moins pour gérer les conditions d'attribution des subsides du CNC au documentaire) est tout sauf un concept. Les documentaires coproduits par les télévisions nous sont apparus comme de plus en plus marqués par des préoccupations informatives et pédagogiques, avec un souci parfois obsédant de « prendre par la main » le téléspectateur. Les autres films que nous avons pu voir se situent, à notre avis, entre deux extrêmes : ceux qui, forts de leur sujet ou de leurs protagonistes, semblent avoir oublié de travailler avec tout ce qui constitue une matière première du cinéma (cadre, lumière, son, rythme et temps) et ceux qui au contraire survalorisent ces éléments et produisent trop de « cadres », trop de « belles lumières », agencés suivant de trop savants montages et ce faisant, abandonnent au bord de la route sujet et protagonistes. C'est en naviguant entre ces deux principaux écueils que nous avons construit cette programmation qui ne se veut ni palmarès, ni panorama de la production de l'année.

En travaillant à la programmation que nous vous proposons, à travers les films que nous avons retenus, nous nous sommes délibérément placés d'un point de vue de spectateur de cinéma. Nous avons recherché parmi les centaines de films que nous visionnions ceux qui - humbles ou complexes - tout en nous laissant notre entière liberté, renouvelaient et parfois bouleversaient notre relation au monde ; ceux qui, au-delà des sujets abordés faisaient confiance tant à leurs spectateurs qu'à leur récit, à la narration qu'ils mettaient en place et qui au cinéma ne peut exister que par le travail du cadre et des mouvements de caméra, par la justesse et la richesse du travail avec le son, le montage et l'invention du temps. Il ne suffit pas en effet de placer sa caméra devant une personne pour qu'une rencontre ait lieu, que la réalité ou le réel comme on dit - mais qu'est-ce que le réel, ce que je vois, ce que tu vois, ce qu'ils voient... et que voyons-nous ? - nous soit donné. Le réel n'est pas, au cinéma, ce qui est devant la caméra mais ce que le film, faisant confiance au pouvoir des images et des sons, en un mot au cinéma, construit à partir de cela avec le spectateur.

Gérald Collas et Pierre-Marie Goulet


Débats en présence des réalisateurs et des producteurs.