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Les États généraux du film documentaire 2010 Écritures numériques

Écritures numériques


Au bout des doigts

Le philosophe Pierre Lévy s’enthousiasmait, jadis, étant donné la croissance de l’usage de l’ordinateur personnel et de l’Internet, de la production future d’une intelligence collective. Nous avons vécu, effectivement, des épisodes de démocratie participative et spontanée, par exemple, en France, pendant le référendum sur la constitution européenne. À l’inverse, nous assistons, en même temps à un contrôle exponentiel de la toile.

Toute une panoplie d’appareils numériques (de plus en plus petits et convergents) finit par bouleverser notre petite vie : le téléphone, par exemple, nous tient en laisse, transforme la pratique de la photographie et du filmage.

Au ministère de la Culture, le sociologue Olivier Donnat a bien montré dans son ouvrage Les Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique, qu’Internet a libéré les moins de trente-cinq ans de l’usage de la télévision. Ce qui n’est pas sans conséquences sur notre travail de documentariste, même et probablement plus quand on ne travaille pas pour la télévision. Nouvelles pratiques ? Révolution numérique ? Cela fait un moment que toutes ces questions nous agitent. J’ai le sentiment que nous, praticiens du numérique, n’en sommes qu’à des balbutiements, que l’essentiel est à venir, que nous n’avons pas encore mesuré l'étendue du changement. L’apparition des nouveaux outils gomme les différences entre les métiers. La pseudo facilité de leur emploi met en péril notre métier de réalisateur. La diminution des coûts de production a augmenté notre précarité, au lieu de favoriser seulement la création. Mais il est certain aussi que le numérique a permis l’émergence d’œuvres impossibles à réaliser auparavant (en Chine par exemple) ou la diffusion d’informations jusque-là impossibles à produire (voir l’exemple de l’Iran).

Dans notre secteur, la nouveauté serait le web documentaire. Cette année, nous proposons donc un atelier à la géographie étendue, sur la nouveauté de ce mode d’écriture.
Avant vous regardiez des documentaires au cinéma, à la télévision, maintenant vous les regardez sur votre ordinateur. Aujourd’hui, vous arrêtez le défilement des images d’un clic ! Vous pouvez interagir ! Vous avez un certain pouvoir sur ces images au bout de vos doigts. Je me souviens d’une époque où il était impossible de réaliser des documentaires à la télévision sans être salarié de la télévision, c’était une époque où il n’y avait plus de documentaires en salle et seulement une poignée de festivals défendait le genre… C’était avant la création des États généraux du film documentaire de Lussas. Les lieux de diffusions changent ! Aujourd’hui, la télévision a déjà perdu son jeune public qui regarde les images sur l’ordinateur, petit bouleversement au regard de l’histoire du temps humain. Il me semble qu’un jour, Jean-luc Godard a dit dans une interview que le cinéma était un temps de l’histoire de la télévision. Il serait légitime de se demander si le cinéma et la télévision ne correspondent pas aux balbutiements d’Internet, à un moment de cette histoire ?

En prenant du champ, en changeant d’échelle de temps, je vous convie à une recherche : essayer de regarder autrement notre travail. Clarisse Herrenschmidt, philologue, a écrit un ouvrage sur les trois révolutions de l’écriture dans l’histoire de l’humanité. Elle établit que nous serions en ce moment en train de vivre le troisième bouleversement.
Elle nous propose un saut vertigineux dans le temps qui nous ramène à l’origine de l’écriture. Elle explique par exemple comment l’écriture est née de la nécessité de compter, de réaliser l’inventaire des stocks, c’est-à-dire comment l’écriture est d’abord liée à l’économie : « Pour le contrôle des denrées, la comptabilité s’était faite écriture ». Elle déchiffre alors le lien existant entre ces inventions et nos images symboliques.
Elle nous racontera le continuum qui va du Moyen au Proche-Orient, du Proche-Orient à l’Europe, de l’Europe à l’Amérique du Nord, alors que nous vivons la troisième révolution graphique de l’histoire. Nous souhaitons réfléchir avec elle au bouleversement présent et à venir, sur l’acquis de l’histoire, comme pour nous prévenir de ce que nous allons vivre, sans pour autant prévoir ce qui n’est pas encore compris et analysé.

Notre but est de contourner les questions habituelles, pour adopter un autre point de vue, prendre du champ, changer d’échelle en regardant les infinis détails du fonctionnement du web en compagnie d’Alexandre Brachet, producteur (Upian) de Gaza Sderot et Prison Valley – entre autres – qui façonne déjà depuis quelques années, avec toute une équipe, des histoires interactives… Il nous présentera son travail, sa pratique, sa vision des possibilités du web. Il aura au bout des doigts, en direct, un outil qui lui permettra d’aller sur la toile et de nous montrer des exemples de ce travail. Il nous fera partager son approche de cette pratique. Il nous exposera le mode de production de ces projets et présentera également les techniques et les outils employés.
Philippe Brault et David Dufresne viendront ensuite partager leur expérience. Réalisateurs du web documentaire Prison Valley* produit par Upian, ils interviendront plus particulièrement sur l’interactivité et la question du rapport avec leurs spectateurs, auditeurs, lecteurs, acteurs !

Ce dispositif d’atelier nous permettra d’interroger nos pratiques concrètes et nouvelles. Le web documentaire est un champ d’investigation, un lieu d’invention d’un autre rapport d’interprétation et de représentation du monde, où l’internaute jouerait activement son rôle et viendrait bousculer notre manière de produire nos films.

Pierre-Oscar Lévy

*Prison Valley : http://prisonvalley.arte.tv/?lang=fr.


Coordination : Pierre-Oscar Lévy


Invités : Alexandre Brachet, Philippe Brault, David Dufresne, Clarisse Herrenschmidt.