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Les États généraux du film documentaire 2008 Fragment d'une œuvre : Thomas Ciulei

Fragment d'une œuvre : Thomas Ciulei


Thomas Ciulei, cinéaste roumain-allemand, poursuit depuis une quinzaine d’années une œuvre documentaire remarquable. Si la plupart de ses films ont été coproduits avec l’Allemagne, où il a étudié le cinéma, tous se déroulent en Roumanie, excepté le dernier qui nous entraîne dans un village de Moldavie, pays voisin. Dans Le pont des fleurs, le cinéaste partage le quotidien d’une famille de paysans dont la mère est partie travailler clandestinement à l’étranger, pour essayer d’améliorer une vie de plus en plus difficile. Dans un style très maîtrisé (porté par un tournage en pellicule auquel il tient), il accompagne les efforts du père pour combler le vide laissé par ce départ : sous sa conduite, les activités de la journée s’enchaînent sans répit et chaque instant est chorégraphié par le cinéaste dans une mise en scène minutieuse. La virtuosité qu’il manifeste raconte avant tout sa croyance dans la force d’un plan, d’une séquence pour dire toute la simplicité d’une vie, la douceur ou la vigueur d’un geste, la beauté d’un visage. Et cette mise en scène s’imagine avec ceux qu’il filme, comme une invitation à jouer, que l’on retrouve aussi dans Asta e, son précédent film. Il y a chez Thomas Ciulei, une jubilation, un plaisir du jeu auxquels se joignent ses personnages, une autre manière pour eux de surmonter des situations parfois un peu désespérées et pour lui de les rendre belles — un clown se cache pudiquement derrière le cinéaste, son sérieux est celui d’un Keaton. Son cinéma s’appuie sur une relation très respectueuse et attentive qui se dévoile parfois dans une parole ou un regard de ceux qu’il filme. Comme avec Gratian, ce vieil homme rejeté du village qu’on prétend loup-garou mais dont le film montre toute la beauté et la grâce, les monstres n’étant pas ceux que l’on prétend. Dans ces films, on parle peu, la parole est accueillie, attendue, mais on le sent, jamais forcée.
Dans Face Mania, c’est cette relation de confiance qui lui permet de recevoir de Lena Constante, comme un don, le récit de ses terribles années de détention politique dans les geôles roumaines. Elle s’est servie des mots pour échapper à la folie, elle a contenu ses peurs avec ses mots. Dans son tout premier film, Thomas Ciulei recueillait aussi une parole : celle de ceux qui avaient choisi de rester dans leur village de Transylvanie déserté par la majorité des habitants (d’origine allemande) qui s’exilèrent après la chute de Ceausescu. Lui aussi, pour d’autres raisons, quittait la Roumanie des années plus tôt, à l’âge de quatorze ans. Dans tous ses films, cet exil ressurgit : qu’on soit rejeté, qu’on ait décidé de rester, qu’on ait été obligé de se séparer, qu’on se soit inventé un exil intérieur, il faut construire un pont. Le pont des fleurs était le symbole du rapprochement entre la Moldavie et la Roumanie après 1989. Dans Face Mania, il y a un long travelling de nuit sur un pont dont l’image est double, d’un parfait reflet sur le fleuve, une illusion. Lena Constante capturait avec des mots des visages inquiétants, puis transformait ses rêves en poèmes pour les garder en mémoire, ce rêve maintenu éveillé par les mots : « une prairie couverte de fleurs ».

Christophe Postic


Invités : Thomas Ciulei a aussi produit le film d’Alexandra Gulea, sa monteuse, God Plays Sax, the Devil Violin, regard pudique sur la vie dans un hôpital psychiatrique, projeté lors de la première séance. Débats en présence de Thomas Ciulei.