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Les États généraux du film documentaire 2007 Incertains regards

Incertains regards



Tout un monde ?

Le monde serait composé principalement d’un ensemble de boîtes. Dans ces boîtes, on peut trouver des lettres quelquefois déchiffrables, des photographies pas toujours jaunies, des dessins plus ou moins aquarellés, des bobines de films Super 8 ou de cassettes vidéo tentées par le drop, au bord du coma dépassé, que la science sait maintenant réanimer.

Le monde serait aussi composé de secrets enfouis à diverses profondeurs, d’omissions patentes ou discrètes, de non-dits élégants et commodes, de manipulations réussies, de silences plus ou moins bruyants, de mensonges délibérés, organisés, solitaires ou en bande.

Le monde comprendrait aussi des enfants. La préoccupation dominante des enfants lorsqu’ils deviennent grands est de comprendre d’où ils viennent. C’est aussi vrai lorsqu’ils sont petits, mais ne faisant pas de films (tout en se faisant leur cinéma, c’est entendu), nous les plaçons sans vergogne en dehors de notre champ d’étude.

L’ensemble du monde serait traversé par le syndrome du saumon. Pour ceux qui s’intéressent à l’animal sous une forme différente de sa présentation habituelle en lamelles fumées, on retiendra du saumon qu’il ne peut résister à l’appel qui le contraint à franchir les océans, remonter les rivières, sauter les barrages pour retrouver les eaux qui l’ont vu naître.

Les enfants à la caméra sont souvent des saumons tenaces et vigoureux. En cherchant à remonter vers quelques lieux originels, ils parcourent le monde en sondant ses soubassements.

Armés de cette conviction forte que le futur n’a plus d’avenir s’il n’a pas de passé, certains s’emploient donc à relier les fils de leur mémoire au courant porteur de l’Histoire.

Le monde est aussi le territoire des hommes (de plus en plus souvent des femmes dans l’univers des films que nous avons reçus).

Il faut bien maintenant admettre que le monde comprend aussi des films documentaires. Les films documentaires cherchent à se frayer un chemin vers un lieu, non pas de naissance comme les saumons, mais de reconnaissance. Leurs géniteurs cherchent à partager avec un public au regard attentif les débats que la projection de leurs œuvres va opportunément susciter.

Cette possibilité de révélation des images et des paroles latentes, qui fondent tout film digne de ce nom par le partage des regards et la confrontation des opinions, fait bien sûr la richesse des discussions que seules la fatigue et la fermeture des terrasses de Lussas tard le soir peuvent interrompre.

C’est le sens même de cette programmation, si finement nommée « Incertains regards », que de proposer les objets qui vont à la fois satisfaire le légitime besoin du spectateur de films pertinents et donner lieu à des discussions propres à faire progresser nos approches du cinéma.

Mais alors, vient « la » question. Comment donc sont choisis (au terme d’un long et parfois douloureux processus de sélection) les films que vous allez voir ?

Nous remercions du fond du cœur les nombreux producteurs et réalisateurs qui n’ont pas hésité à casser leur tirelire pour nous faire des cadeaux somptueux. Nous parlons bien sûr de tous ceux qui après des sacrifices réels, de longues années de travail parfois, ont eu l’élégance de nous faire parvenir des films en lesquels ils croient tout en sachant que nous ne pourrions en proposer que quelques-uns dans notre sélection finale.

Il y avait des manières connues de choisir des films.
D’abord prendre ceux qu’on préfère, ceux que l’on aime, ou les films qui traitent d’un sujet qui nous intéresse. Mais avec cette première méthode, croyez-le si vous voulez, on arrive à trouver une bonne centaine de films… Nous n’avons qu’une trentaine de places… Comment trancher ? Sur les huit cents films de la production annuelle de documentaires, envoyés au festival, il y en a de très bons, des formidables et beaucoup de très bien faits…

Une autre solution consiste à faire comme les programmateurs de télévision : essayer de se conformer à la demande supposée des consommateurs du festival (en considérant Lussas comme une entreprise commerciale)… Mais alors, il nous faudrait des questionnaires à chaque fin de séance, et des spectateurs qui répondraient complaisamment à des sondages… Le résultat au bout de très peu d’années serait un label qualité Lussas, un AOC formaté et déjà mort et plus aucune surprise à venir… puis, plus de festival ! Ou alors seulement pour les plus anciens qui seraient contents de voir toujours la même chose, un peu comme certaines chaînes de télévision qui ne sont plus vues que par les seniors…

Alors, cette confiance de ceux qui ont proposé leurs films, nous avons tenté de l’honorer en cherchant le plus obstinément possible les films qui « inventent », qui « travaillent » le cinéma et, dans un souci de dialogue malgré nos divergences, nous avons passé des nuits blanches à dépiauter le bon grain de l'image de l'ivresse des profondeurs du sens.

Car le monde contient des films qui sont des objets uniques, portés par des femmes et des hommes qui sentent au plus profond d’eux-mêmes que leur indépendance de jugement est la condition de leur survie.

Les films que nous vous montrons sont donc des superproductions de volonté, d’imagination, de refus du renoncement, de ténacité, d’espoir dans les capacités d’indignation ou d’empathie du genre humain. Ces films ont confiance en notre autonomie de spectateur. Pour « documentaires » qu’ils soient, ils n’en comportent pas moins leurs partis pris, n’hésitant pas à renoncer au confort que procure la simple transmission de l’information (objective, équilibrée, rationnelle, politiquement correcte, rayer les mentions inutiles).

Cette prise de risques, cette mise en danger, qui caractérise bon nombre de ceux qui ont permis l’existence de ces films, est certainement ce qui nous engage, nous spectateurs, à nous affranchir du confort des idées préconçues en regardant le résultat de leur travail.

À la question posée « qu’est-ce que le monde ? », nous pouvons maintenant répondre aussi.

Le monde est composé de regards attentifs, d’émotions partagées, de voyages vers l’autre, de rencontres provoquées, de hasards opportuns, d’émerveillements ou de ripostes à construire.

Le monde appartient à celles et ceux qui le regardent sans complaisance, mais sans a priori, qu’ils se lèvent tôt ou non. Le monde appartient à ceux qui voient dans les films une occasion de plus de ne pas confondre lucidité et désespoir et qui ont confiance dans le fait qu’une prochaine vague va à son tour toucher le rivage. Ceux-là savent aussi qu’il n’est pas inutile d’apprendre à nager, surtout dans un océan d’images, pour repérer les nuances les plus subtiles qui leur permettront de se frayer un chemin vers les films qu’ils aimeront pleinement et qui les aideront à se construire (1).


Invités : (1) Bien que le phénomène ne soit pas encore expliqué parfaitement, les biologistes sont à peu près tous d'accord pour dire que c'est grâce à leur odorat que les saumons localisent leur rivière natale. Ils sont capables de déceler les particularités chimiques de l'eau des endroits où ils passent et se servent ensuite de leur mémoire olfactive pour refaire le même chemin en sens inverse. Les concentrations qu'ils sont capables d'enregistrer sont infinitésimales, au niveau moléculaire. Les scientifiques prétendent qu'un saumon est capable de déceler une concentration d'alcool de l'ordre d'une cuiller à café dans la mer Méditerranée. (Grands Frissons, guides de pêche au saumon).

Débats en présence des réalisateurs.