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Les États généraux du film documentaire 2007 Afrique

Afrique



Afrique documentaire

Il faut redire que cette place des œuvres documentaires africaines ou sur l’Afrique à Lussas est le résultat d’une conviction : il existe un continent cinéma auquel nous, cinéastes cinéphiles du Nord comme du Sud, appartenons. Le film documentaire est une préoccupation esthétique et politique commune bien au-delà des nations et des identités. Et dans ce « mouvement monde » de l’art documentaire, le silence imposé à l’Afrique est tellement indécent que je m’obstine à dénicher des films qui racontent, rappellent ce continent à notre conscience commune.

La moitié des films présentés cette année sont des films réalisés par des réalisateurs africains qui vivent en Afrique. J’aurais voulu qu’il y en ait plus… L’an prochain certainement, car nombre de films sont en préparation, notamment au sein de la collection « Lumière d’Afrique », dont nous aurons l’occasion de reparler.

Moussa Touré, Samba Félix Ndiaye, Jean-Marie Teno, Mariette-Chantal Mêlé, le compte est vite fait des réalisateurs et réalisatrices d’Afrique francophone qui ont réalisé plus de deux documentaires remarquables, diffusés dans les festivals internationaux depuis 2003, date à laquelle nous avons commencé cette sélection. Si ces réalisateurs et leurs films circulent bien dans les festivals, c’est parce que ce sont ceux par qui le documentaire africain donne des nouvelles de l’Afrique, j’allais dire, au monde. Mais si l’on va jusqu’au bout de l’observation, la plupart de ces films sont principalement vue en Europe, les télévisions africaines ne les diffusent souvent pas, et le réseau des salles de cinéma en Afrique est en lambeaux.

Mais l’isolement, le petit nombre de ces documentaristes et l’importance de leurs œuvres ne nous disent rien sur un fait nouveau : un tissu, une génération de documentaristes africains émergent. Le premier volet de la sélection 2007 a pour ambition de vous montrer les premiers films de cinéastes en sortie d’apprentissage. Ce sont pour beaucoup de jeunes auteurs, parmi lesquels autant de réalisatrices que de réalisateurs. Leurs films sont donc, souvent, la résultante d’un mouvement et d’un accompagnement volontaristes, portés par la coopération entre des structures africaines et européennes de formation. Ce fut le cas pour des films comme Papa... d’Aïcha Thiam et Oumy et Moi d'Adams Sie (résultats du travail que mènent en commun le Forut – Média Centre de Dakar et le festival Filmer à Tout Prix de Bruxelles), Senghor, je me rappelle… de Gora Seck – soutenu par les Dix Mots de la Francophonie et Les Films de l’Atelier de Dakar ; Sénégalaises et Islam de Angèle Diabang Brener – impulsé par le Goethe Institut – ou Ra, la réparatrice de Mamadou Cissé – issu des résidences d’écriture Africadoc, organisées par Dakar Images et Ardèche Images.

Toujours dans cette composante de films réalisés par des auteurs africains, il y a ceux qui ont réussi à s’inscrire dans l’économie du genre. Ces mises en réseau des compétences et des guichets du Sud et du Nord sont évidemment essentielles. Je suis convaincu que ce sont les étapes nécessaires au développement du tissu des producteurs et des documentaristes africains, sur la base d’alliances Nord-Sud équitables. Ces auteurs-réalisateurs ont su trouver des partenaires producteurs et/ou télévisuels, en partie grâce aux contacts qu’ils ont pu nouer, à leur mobilité et à leur présence dans quelques rendez-vous professionnels comme le Fespaco ou les Rencontres Tënk de Gorée. Les Disparus de Douala, réalisé par Osvalde Lewat et produit par AMIP, est exemplaire à cet égard. Ce film magnifique, programmé en plein air, au-delà du courage d’Osvalde et de ces témoins, inaugure un acte de résistance et de conscience documentaire. Face à l’abjection, il se pose par son traitement cinématographique et son objet comme œuvre de référence : une conscience morale et politique d’une nouvelle génération de cinéastes africains.

Aujourd’hui, seule l’Afrique du Sud, avec la chaîne de télévision SABC, permet de produire des documentaires de création. Nous verrons ainsi un documentaire sud-africain, The Mothers’ House de François Verster qui se situe dans la veine du cinéma direct d’immersion. C’est une chronique de la vie d’une famille où les hommes sont absents, mais où la violence entre les femmes et les générations prévaut. Le film, au-delà du simple portrait à caractère social, est porteur d’une belle ambition : en filmant sur une longue période, il tente et réussit à saisir le « comment échapper au déterminisme culturel et social ? ».

Pour le deuxième temps de cette sélection, des films européens sont présentés. Ces œuvres travaillent la relation de l’histoire et de la politique au continent africain. Ces films sont des objets très aboutis qui documentent l’histoire contemporaine, les mécanismes politiques et économiques qui la traversent. Comme autant d’outils de lecture, ils rendent lisibles les enjeux de l’histoire et leur prégnance sur le temps présent.

Tout d’abord, la fresque passionnante Cuba, une odyssée africaine nous instruit sur l’histoire des guerres d’indépendance et des guerres politiques post-indépendance, avec l’épopée du Che au Congo comme figure emblématique… Le film Le Petit Blanc à la caméra rouge relate l’engagement anti-colonialiste de René Vautier et l’histoire de son film Afrique 50. C’est le parcours d’un cinéaste anti-colonialiste au moment où le cinéma ne l’était pas. Pour glisser de l’histoire politique au présent politique, Le Beurre et l’Argent du beurre de Philippe Baqué et Alidou Badini démêle les rouages et les mécanismes du « mal » développement, sans recherche esthétique autre que les techniques du cinéma direct, et avec beaucoup d’application. Il nous permet de saisir la nature complexe de l’exploitation des ressources du Sud, c’est une sorte de « véritable histoire du commerce équitable à travers le beurre de karité ».

Enfin, le troisième temps rassemble une sélection de quatre films très différents dans leur écriture. Ce sont des documentaires fondés sur une approche sensible de personnages, des portraits réalisés en complicité avec des auteurs et co-auteurs africains. Des films faits ensemble, dont le geste de cinéma est souvent prépondérant sur l’objet même de l’oeuvre. Maïsama m’a dit d’Isabelle Thomas n’est pas un film qui documente. Ce travail sur des textes dits en off, et une approche filmique quasiment graphique de figures peintes sur les murs de Dakar, dressent le portrait d’une personne absente et réalisent ainsi une très belle expérience de cinéma. Grandes Vacances de Oldrich Navratil est un étonnant travail, entre bricolage et radicalité, fait à deux. Dans ce film, c’est le son qui documente. L’image, tantôt métaphore tantôt mouvement et prolongement du récit, est globalement au service des voix. Poussière de femmes de Lucie Thierry et Maïmouna, la vie devant moi de Fabiolla Maldonado et Ulrike Sülzle, relèvent quant à eux, classiquement et sobrement, du cinéma du réel. Documentant une réalité quotidienne peu spectaculaire, ils m’apparaissent avant tout comme des regards justes.

Pour finir, un petit extrait du propos de deux jeunes apprenties réalisatrices, relevé lors des dernières Rencontres Tënk de Gorée : « Jean-Marie !! Tu sais, nos parents, nos aînés cinéastes, ils ne nous ont pas appris à les aimer, ni à les admirer. Un jour, quand nous pourrons voir leurs films, peut-être alors qu’on les considèrera autrement. »
« Tu sais, le documentaire nous sauve, car ce n’est pas le pouvoir, c’est comme ça que va être notre cinéma, avec les gens, avec les Africains. Tu vas voir, on parlera de nos films et de nous avant dix ans, comme une génération qui, dès le départ, sait qu’elle va transmettre et partager… »